CNRS
Globalement, mon travail de recherche au CNRS porte sur les représentations des autres, particulièrement en tant qu’ils sont considérés comme philosophes ou non-philosophes, dans l’imaginaire des penseurs occidentaux.
Jusqu’à présent, ce travail s’est poursuivi dans deux programmes de recherche successifs.
Le premier, entamé en 1985 et développé au CNRS à partir de 1989, a porté sur « la découverte du bouddhisme et la philosophie européenne (1820 – 1890) », et a débouché sur publication d’un ouvrage résumant les conclusions de ce travail (Le Culte du néant. Les philosophes et le Bouddha, Ed. du Seuil, 1997) et d’autre part sur la soutenance d’une thèse de Doctorat d’Etat nouveau régime sur travaux, sous la direction de Monsieur le Professeur Michel Hulin, à l’Université de Paris IV, le 18 mai 1998.
Le second programme, centré sur « La représentation occidentale des barbares » s’est poursuivi dans le cadre de l’U.P.R. 76 (Histoire des doctrines de l’Antiquité et du Moyen Age) depuis octobre 1997. Il a notamment débouché sur la publication d’un ouvrage de synthèse (Généalogie des barbares, Odile Jacob, 1997) et sur la soutenance d’une Habilitation à diriger les recherches, intitulée « Représentations, altérité, identité. Discours européens et philosophies des autres », soutenue à l’EHESS (Paris), le 2 avril 2008, sous la direction de François Hartog (EHESS), devant un jury présidé par Philippe Régnier (CNRS), composé de Marc Augé (EHESS), Marcel Detienne (EPHE et Johns Hopkins University), Marie-Odile Goulet-Cazé (CNRS) et François Hartog (EHESS).
a/ 1 – Résultats du programme « La découverte du bouddhisme et la philosophie européenne (1820 – 1890) ». A partir de 1985, mon travail de recherche s’est centré sur l’étude des représentations philosophiques de l’Orient en Occident. Il s’agissait d’abord de contribuer à systématiser l’étude des interprétations des doctrines d’origine indienne (brahmanisme et bouddhisme) chez les philosophes européens du XIXe siècle.
En effet, les analyses suscitées par les doctrines de l’Inde dans la philosophie allemande du XIXe siècle – notamment chez Hegel, Schelling, Schopenhauer, Feuerbach, Nietzsche… – comme dans la philosophie française de la même période – chez Cousin, Quinet, Taine, Renan, Renouvier, entre autres – n’avaient pas véritablement fait l’objet d’une prise en considération à la fois historique et philosophique les examinant dans leur ensemble. Il s’agissait donc de tenter de rendre compte de leur place, quantitativement très conséquente, et de leurs enjeux spéculatifs.
En France, le travail de recherche en ce domaine avait peu progressé depuis la thèse de René Gérard (L’Orient et la pensée romantique allemande, Nancy, Thomas, 1963) et la thèse complémentaire de Michel Hulin (Hegel et l’Orient, Paris, Vrin, 1979). Des travaux d’historiens, américain (A. Leslie Willson, A Mythical Image : the Ideal of India in German Romanticism, Duham, Duke University Press, 1964) et allemand (Wilhelm Halbfass, Indien und Europa. Perspektiven ihrer geistigen Begegnung, Stuttgart, Schwabe, 1981) avaient certes précisé les caractéristiques de l’image de l’Inde dans la philosophie européenne, et mis en lumière ses principales voies de diffusion. Mais ces ouvrages, malgré leurs qualités, n’étaient pas parvenus à proposer une explication du processus qui a fait presque disparaître de la scène philosophique internationale, depuis la dernière décennie du XIXe siècle, l’intérêt pour les doctrines de l’Inde qui était abondamment attesté depuis la fin du XVIIIe siècle.
Mon travail a d’abord consisté à mettre en lumière ce problème dans un premier livre (L’Oubli de l’Inde. Une amnésie philosophique, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, nouvelle édition revue et corrigée Paris, Le Livre de Poche, Biblio-Essais, 1992, nouvelle réédition avec une préface inédite Points-Seuil n°527, 2004). La recherche poursuivie au C.N.R.S. à partir de 1989, comme détaché, puis à partir de 1991 et jusqu’en septembre 1997 comme chercheur rattaché au Centre de Recherche et de Documentation sur Hegel et sur Marx de Poitiers (U.R.A. 1081, sous la direction de M. le Professeur Jean-Louis Vieillard-Baron) a visé à l’élaboration d’éléments de réponse à ces questions.
Les premières explorations dans les archives m’avaient conduit à remarquer qu’il avait principalement manqué aux études relatives à la « réception » des doctrines indiennes chez les philosophes européens d’avoir clairement distingué entre la réception du brahmanisme et celle du bouddhisme, laquelle ne s’inscrit ni dans la même chronologie ni dans le même contexte.
Mon domaine de recherche s’est donc défini à partir de la mise en lumière des traits spécifiques de la découverte du bouddhisme par les orientalistes européens et par l’analyse systématique des caractéristiques propres aux interprétations du bouddhisme chez les philosophes allemands (de Hegel à Nietzsche) et français (de Cousin à Renouvier). L’histoire de la découverte philologique du bouddhisme par l’Europe savante reste encore à écrire dans son détail. Un premier tableau a été brossé par l’ouvrage déjà relativement ancien de Henri de Lubac (La rencontre du Bouddhisme et de l’Occident, Paris, Aubier, 1952), mais les orientalistes se sont peu soucié de cet aspect de l’histoire où s’entrecroisent plusieurs de leurs disciplines, à l’exception notable de l’étude de J.W. de Jong (« A Brief history of Buddhist Studies in Europe and America », The Eastern Buddhist, VII, 1 et VII, 2, 1974). De même, les travaux relatifs aux multiples débats suscités, dans les différentes cultures européennes, par la découverte presque soudaine de la dernière grande tradition spirituelle qui soit venue à la connaissance de l’Occident demeurent relativement rares, en dépit d’un certain regain d’intérêt pour cette question, principalement chez des chercheurs anglo-saxons, plus historiens que philosophes, tels G.R. Welbon (The Nirvâna and Its Western Interpreters, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1968) ou Philip C. Almond (The British Discovery of Buddhism, Cambridge University Press, 1988) ou bien des ouvrages plus discutables, comme celui de Stephen Bachelor (The Awakening of the West. The Encounter of Buddhism and Western Culture, Harper and Collins, London, 1994).
D’autre part, la recherche consacrée aux interprétations philosophiques du bouddhisme était à peine mieux représentée. Si le rapport qu’entretient avec le bouddhisme la pensée de Schopenhauer avait, pour des raisons liées à ses propres affirmations, attiré depuis longtemps l’attention des commentateurs (voir la bibliographie dans le volume collectif publié sous ma direction, Présences de Schopenhauer, Grasset, 1989, réédition Le Livre de Poche, Biblio-Essais, 1991), et si certains travaux se sont centrés sur Nietzsche (Freny Mistry, Nietzsche and Buddhism, Berlin and New York, 1981; Nietzsche and Asian Thought, sous la direction de Graham Parkes, Chicago and London, 1991, et tout récemment Robert G. Morrisson, Nietzsche and Buddhism. A Study in nihilism and Ironic Affinities, Oxford University Press, 1997), l’ensemble des analyses consacrées par Hegel au bouddhisme demeurait généralement ignoré.
Surtout, les diverses monographies existantes m’ont paru souffrir de deux carences : 1 – une connaissance insuffisante des traits spécifiques du processus de la découverte du bouddhisme par les orientalistes, qui entraîne des erreurs d’appréciation multiples dans la lecture des interprétations philosophiques ; 2 – une absence de vue d’ensemble, alors que seule une telle mise en perspective permet de saisir la continuité des thèmes et les points de rupture.
Mon travail s’est donc donné pour tâche d’explorer : 1 – la constitution et le développement de la découverte du bouddhisme par l’Europe savante, de la fin du XVIIIe siècle aux années 1890 ; 2 – la logique d’ensemble des interprétations philosophiques suscitées, en Allemagne comme en France, par les travaux des philologues.
Le principal résultat du travail est d’avoir fait apparaître une cohérence thématique des analyses consacrées au bouddhisme par les philosophes du XIXe siècle qui demeure indépendante de leurs problématiques diverses. Les pages consacrées au bouddhisme par les philosophes auraient pu ne former qu’un agrégat disparate. Ce n’est pas le cas. En effet, à chaque fois qu’il est question du bouddhisme, chez ces philosophes, la thématique du néant, de la négation, de l’anéantissement, du nihilisme se trouve explicitement mise en jeu.
Conformément au programme de recherche soumis en 1991 à la Commission du C.N.R.S., programme qui s’intitulait «La découverte du bouddhisme et la philosophie européenne (1820-1890) », j’ai tenté de comprendre dans quelle mesure la notion multiforme de « nihilisme », déterminante pour toute la pensée contemporaine, avait fait graduellement l’objet, à l’occasion de la découverte d’une « religion » déconcertante, d’une élaboration philosophique de ses différentes strates de signification, et d’une réarticulation de ses éléments. Le propos écartait d’emblée l’idée que la rencontre de la pensée européenne avec le bouddhisme aurait « engendré » le nihilisme. Mais les variations philosophiques construites autour du bouddhisme, et les formes diverses d’un même « culte du néant » qu’on a cru y discerner, peuvent et doivent être considérées comme un laboratoire inaperçu, où s’est déroulé, pour la pensée européenne, une expérience particulière des difficultés de son histoire et des limites de sa propre identité. Au cours de cette expérience semblent venir « précipiter », à propos du bouddhisme, les principales composantes du nihilisme contemporain.
Les résultats de cette recherche ont été rédigés et présentés sous la forme d’un livre, Le Culte du Néant. Les philosophes et le Bouddha, paru aux éditions du Seuil en janvier 1997 (nouvelle édition avec une préface inédite Points-Seuil n° 516, 2004, traductions en bulgare, en anglais, en japonais, en coréen).
En présentant les résultats de ce travail sous la forme synthétique la plus accessible possible, j’ai résolu de prendre pour fil directeur cette assimilation erronée du bouddhisme à un « culte du néant » et d’en retracer la naissance, la croissance et le déclin. Ce livre comporte également en annexe une bibliographie chronologique (1820-1890) des travaux européens consacrés au bouddhisme qui compte près de 1 500 titres et constitue un outil pour d’autres chercheurs.
L’ensemble du travail de recherche poursuivi depuis 1985 a conduit à la soutenance d’une thèse de doctorat d’Etat nouveau régime sur travaux sous la direction de Monsieur le Professeur Michel Hulin (Université de Paris-IV), à l’Université de Paris IV, le 18 mai 1998. Cette soutenance a porté sur les deux ouvrages publiés : L’Oubli de l’Inde. Une amnésie philosophique (PUF, 1989, nouvelle édition revue et corrigée Le Livre de Poche-Biblio Essais 1992) et Le Culte du Néant. Les philosophes et le Bouddha (Editions du Seuil, 1997), ainsi que sur le choix d’articles suivant : 1/ «Victor Cousin, la Bhagavad-Gîtâ et l’ombre de Hegel. Purûsartha, vol. 11, « L’Inde imaginaire ». Paris, Ed. de L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1988, pp. 175-195 ; 2 / « Schopenhauer et le bouddhisme : une « admirable concordance » ? » in Schopenhauer, New Essays in Honor of His 200th Birthday , volume collectif trilingue publié sous la direction de M. Eric von der Luft, Studies in German Thought and History, Lewiston, Edwin Mellen Press, 1988, vol. 10, pp. 123-138 ; 3 / « Gobineau et la mort de l’humanité» in Lignes, n°12, Décembre 1990, pp. 82-95 ; 4 / « Cette déplorable idée de l’anéantissement ». Cousin, l’Inde et le tournant bouddhique. in Victor Cousin, numéro spécial de la revue Corpus, 18-19, 2nd semestre 1991, pp. 85-103 ; 5 / « French Philologists and Philosophers : the Hopes of the 19th Century », in Indo-French Relations : History and Perspectives, New Delhi, 17-19 April 1990, Seminar Proceedings. Office of the counsellor for cultural, scientific and technical cooperation. New Delhi, Embassy of France, 1991, pp. 137-147 ; 6 / « L’Inde des Grecs au XIXème siècle». in « Chercheurs de sagesse ». Hommage à Jean Pépin sous la direction de Marie-Odile Goulet-Cazé. Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1992, pp. 691-703 ; 7 / « Vivekânanda entre l’Inde et l’Occident » in Le métis culturel. Paris, Babel-Maison des cultures du monde, 1994, pp. 38-54 ; 8 / « La « faiblesse » bouddhiste selon Taine », in L’Inde inspiratrice. Réception de l’Inde en France et en Allemagne (XIX et XX e siècles), sous la direction de Michel Hulin et de Christine Maillard, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, pp. 107-119.
Le jury était composé de Mme et de MM. les professeurs Marie-Odile Goulet-Cazé (C.N.R.S, U.P.R. 76), Michel Hulin (Paris IV), Charles Malamoud (E.H.E.S.S.), Jean-François Marquet (Paris IV), Jean-Louis Vieillard-Baron (Université de Poitiers), Francis Zimmermann (E.H.E.S.S.). Le travail présenté a été jugé digne du Doctorat d’Etat nouveau régime en philosophie, avec mention très honorable et félicitations du jury à l’unanimité.
a/ 2 – Prolongements et impact du premier programme de rechercheEn 1998, Le Culte du Néant. Les philosophes et le Bouddha a fait l’objet d’une traduction en langue bulgare par Tatiana Batouleva, chercheuse du Département de philosophie de l’Université de Sofia (Kult km Nievitiéto. Philosophite i buda. Lyk, Sofia, 1998, 240 p.).
En 2002 est parue la traduction en langue japonaise, avec une préface inédite spécialement rédigée pour cette édition (Honokan, « Transview », Tokyo, 2002, 360 p.).
En 2003, la traduction en langue anglaise, par David Streight et Pamela Vohnson, relue et partiellement révisée par mes soins, est parue aux Presses de l’Université de Caroline du Nord (The Cult of Nothingness. The philosophers and the Buddha, Translated by David Streight and Pamela Vohnson. The University of North Carolina Press. Chapel Hill and London, 2003, 264 p.). Cette traduction a fait l’objet de plusieurs compte rendus, notamment dans la revue Philosophy East and West.
En 2006 est parue la traduction en langue coréenne (Simsan Publishing, 466 p.), qui reprend la préface à l’édition japonaise.
D’autre part, les éditions du Seuil ont souhaité rééditer ces deux ouvrages au format de poche, dans la collection « Points », et j’ai rédigé une préface spécifique pour chacune de ces rééditions. Dans ces deux préfaces, j’ai tenté de dresser un bilan des questions abordées telles qu’elles peuvent apparaître avec un recul de quelques années. Le Culte du Néant est ainsi reparu en avril 2004 dans la collection Points-Essais (n° 516, 368 p.) avec une préface intitulée Remarques sur l’Orient et le rêve. L’Oubli de l’Inde, initialement paru aux Presses Universitaires de France en 1989, paru ensuite au format de poche dans une version revue et corrigée (Le Livre de Poche, « Biblio-Essais », n° 4150, 250 p.), est reparu en novembre 2004 dans la collection Point-Essais (n° 527, 254 p.) avec une nouvelle préface, intitulée Questions restantes, qui tente de dresser un bref bilan des changements intervenus depuis la publication initiale et des situations sans évolution.
Ces rééditions et traductions ont notamment suscité la publication d’un dossier sur mes travaux dans la revue Le Débat (Gallimard) n° 137, daté de novembre-décembre 2005, pp. 40-59. Sous le titre « La philosophie indienne et nous », ce dossier comprend trois articles de discussions et de critiques dus à Michel Hulin (professeur émérite à Paris IV), Charles Malamoud (EPHE), et Bernard Faure (Stanford University),, ainsi que ma réponse à leurs lectures et à leurs remarques. Cet article, intitulé « Philosophe et barbare, est-ce possible ? Du XIXe siècle à l’Antiquité », éclaire plusieurs des liens entre mon premier programme de recherche et le second, et résume certains des résultats déjà acquis.
J’ai assuré également à plusieurs reprises des exposés de synthèse de ce travail, ou des éclairages nouveaux sur tel ou tel aspect que je n’avais pas initialement approfondi, en participant à des colloques et séminaires en France, comme par exemple à l’Ecole Normale de la rue d’Ulm ou à la Société Angevine de Philosophie, en Italie (Université de Pise), en Espagne (Barcelone, Forum Universel des Cultures), au Danemark (Fondation Europe-Asie), aux Etats-Unis, notamment à Chicago University, où j’ai donné à Divinity School, le 31 mai 2006, une conférence intitulée « India and the philosophical imagination. The “Buddhist turn” of the XIXth Century”
Enfin, bien que mon travail de recherche ne relève pas stricto sensu de la philosophie comparée, mais plutôt de l’histoire des obstacles épistémologiques qu’elle rencontre et de l’analyse de ses présupposés, il m’est arrivé d’approcher certaines questions proprement comparatistes.
C’est ainsi que j’ai tenté, dans l’ouvrage intitulé Des Idées qui viennent (Odile Jacob, 1999) corédigé avec le chercheur en sciences cognitives Dan Sperber (CNRS, Institut Jean-Nicod) de voir dans quelle mesure certains éléments propres aux perspectives bouddhistes, en particuliers celles des logiciens du Madhyamika, pouvaient permettre d’éclairer différemment des questions aujourd’hui d’actualité, comme la représentation contemporaine des progrès scientifiques ou la non-continuité des processus subjectifs.
De même, au colloque sur « L’Ordonnateur du monde », organisé par le groupe de recherche « Image et représentation » de l’Université du Maine, qui s’est tenu au Mans les 1er et 2 février 2002 j’ai tenté de mettre en lumière le contraste entre la création unique du monde dans la perspective théologique occidentale et les créations-destructions répétées mentionnées sur le versant indien, la question se posant alors de savoir pourquoi le monde se recrée à l’identique et non différemment et comment sa mise en ordre s’opère.. Communication, intitulée « Une mise en ordre toujours à recommencer. Le monde indien et les perplexités du regard occidental » publiée en 2004 dans les actes du colloque (Université du Maine, p. 15-21).
Au colloque organisé au Centre culturel international de Cerisy-la-salle en juin 2004, « Déterminismes et Complexités : de la physique à l’éthique (Autour d’Henri Atlan) » j’ai prononcé une communication, intitulée « Déterminisme et liberté sur le versant bouddhiste », qui se donne pour tâche de rappeler les points principaux de la loi de conditionnalité (pratîtya samupâda en sanskrit) et de tenter de confronter cet élément central de la pensée bouddhiste avec le concept occidental de déterminisme. Ce texte, intitulé « Déterminisme et liberté sur le versant bouddhiste », est paru dans le volume Déterminismes et Complexités : de la physique à l’éthique. Autour d’Henri Atlan, sous la direction de Paul Bourgine, David Chavalarias et Claude Cohen-Boulakia. Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, Editions La Découverte, coll. « Recherches », p. 227-239.
Les éléments rassemblés pour ces deux dernières interventions se retrouvent, avec d’autres compléments, et sous un éclairage différent, dans un livre de dialogues philosophiques que j’ai poursuivis avec le biologiste Henri Atlan, intitulé Chemins qui mènent ailleurs (Éditions Stock, 2005). Dans cet ouvrage, Henri Atlan s’efforce d’envisager le type de transformation qui affecte des concepts philosophiques majeurs lorsqu’on les envisage sous l’angle de certains textes de la tradition juive, en particulier certains traités de la Kabbale lourianique, tandis que je tente pour ma part de mettre en lumière le type de décalage auquel sont soumis les mêmes concepts si on les envisage du point de vue de certains traités bouddhistes, notamment ceux du Mâdhyamika, l’Ecole du Milieu.
J’ai également tenté de mettre en lumière, dans le cadre d’une réflexion pluridisciplinaire sur le clonage humain reproductif, de quelle manière différente se posait la question de l’interdiction de cette pratique dans une perspective bouddhiste. A la suite de ma participation à l’ouvrage collectif Le clonage humain, en collaboration avec Henri Atlan, Marc Augé, Mireille Delmas-Marty, Nadine Fresco. (Editions du Seuil, 1999, 206 p.), j’ai en effet été amené à collaborer aux travaux interdisciplinaires franco-chinois conduits de 2001 à 2004 dans le cadre d’un groupe de recherche co-organisé par le Département des Sciences sociales de l’Université de Fudan (Shanghaï) et l’UMR de droit comparé (CNRS/Université de Paris I). J’ai d’abord participé, du 2 au 4 décembre 2002, au Centre Mahler à Paris, au séminaire d’experts intitulé « Clonage humain, droits et sociétés. Comparaison » organisé sous la responsabilité du Professeur Mireille Delmas-Marty (Collège de France). Dans ce cadre, j’ai prononcé deux communications, intitulées respectivement « Réflexions philosophiques sur la question de l’interdiction du clonage humain reproductif « (3 décembre 2002) et « Embryons, cellules souches et représentations symboliques de l’homme et de l’humanité » (4 décembre 2002).
Le travail de ce programme de coopération scientifique s’est poursuivi à Shanghaï, dans le cadre d’une mission du Ministère des Affaires étrangères qui s’est déroulée du 25 au 29 avril 2004. Dans le cadre de cette rencontre, j’ai rédigé une communication intitulée « Présupposés philosophiques d’une réflexion interculturelle sur le clonage humain » et j’ai participé à la rédaction d’une série de recommandations franco-chinoises sur le clonage humain qui ont été adoptées par tous les participants. Ces textes ont été publiés dans le volume 3 des actes de ces rencontres (Société de Législation comparée).
Ces expériences m’ont permis de ne pas être excessivement dépaysé dans le travail du Comité national consultatif d’éthique pour les sciences de la vie où j’ai été nommé par le C.N.R.S, depuis mars 2007, en remplacement de Mme Marie-Odile Goulet-Cazé, nomination publiée au Journal Officiel seulement en mars 2008. Dans le cadre du travail collectif du Comité, j’ai notamment participé à la rédaction de plusieurs avis : sur les tests ADN (n° 100), sur le dépistage précoce de la surdité profonde, sur le dossier médical personnel. Devenu membre de la section technique, à la demande du Pr Alain Grimfeld, Président du CCNE, j’ai également contribué au rapport préparatoire sur les Etats généraux de la bioéthique.
b/ 2 – Résultats du second programme de recherche : « La représentation occidentale des barbares »Après une bonne dizaine d’années consacrées à l’analyse des interprétations des doctrines indiennes au XIXe siècle, j’ai orienté mon travail dans une nouvelle direction, assurant une continuité avec les préoccupations de fond qui animaient le programme précédent tout en abordant de nouvelles questions et d’autres corpus de textes.
Cette nouvelle recherche a évolué et a même partiellement changé d’orientation au fil des années. C’est pourquoi je résume ici non seulement les éléments permettant de saisir le passage d’un chantier de recherche à l’autre mais aussi les principales étapes de l’évolution de cette recherche.
J’avais d’abord projeté de travailler à l’histoire raisonnée de l’expression « philosophie des barbares ». En effet, la question de savoir s’il était légitime ou non de dénommer « philosophie » un doctrine non grecque avait commencé à se poser, dans mon travail de recherche, au cours d’un séminaire conduit de 1985 à 1987 au Collège International de Philosophie, intitulé « Le Bouddha philosophe ? Recherche sur quelques « non-concepts » du Sutta-Pitaka (Canon pâli) » (Voir Le Cahier N°2 du CIPh. Paris, juillet 1986 . Ed. Osiris. pp. 82-86). J’ai commencé à tenter de replacer cette interrogation dans une perspective historique. Au lieu de seulement considérer les critères délimitant ce que nous considérons, à présent, comme philosophique, et de tenter de les appliquer à des textes issus d’une autre aire culturelle, il m’a semblé nécessaire de demander également qui avait déjà posé ce type de questions, quels contextes leur donnaient sens, quelles réponses ces interrogations avaient suscité.
C’est cette première tentative de mise en perspective historique de l’interrogation relative à la légitimité de la dénomination « philosophie » pour des doctrines non grecques qui m’a initialement conduit à étudier le contraste existant, sur ce sujet, entre le XIXe et le XXe siècle, en ce qui concerne les systèmes de pensée de l’Inde. Que s’était-il passé pour que l’Inde, jugée philosophique des frères Schlegel à Nietzsche, soit considérée comme non philosophique de Husserl à Heidegger et à leurs successeurs ? telle était la question que tentait de poser mon premier ouvrage, L’Oubli de l’Inde. Une amnésie philosophique
La principale hypothèse explicative résidait alors à mes yeux dans le changement qu’avait introduit la découverte du bouddhisme. Celle-ci semblait avoir fait passer l’Inde, dans l’imaginaire philosophique européen, d’un rôle romantique de ressource originaire à une fonction de menace destructrice et annihilante. En suivant cette piste, j’ai pu constater que le processus exact de la découverte du bouddhisme par l’orientalisme européen demeurait pour une part à reconstituer, et d’autre part que la série des textes consacrés au bouddhisme par les philosophes allemands et français du XIXe siècle requérait une lecture systématique. C’est à l’approfondissement de ces questions que fut consacré mon deuxième livre, Le Culte du Néant. Les philosophes et le Bouddha.
Au cours de cette recherche, j’avais plusieurs fois approché, de manière plus ou moins fragmentaire, la question de l’histoire des jugements relatifs aux commencements de la philosophie. Y a-t-il des philosophies ailleurs que chez les Grecs ? Quelles ont été, à ce sujet, les convictions des auteurs grecs eux-mêmes ? Et celles des Pères de l’Église ? Et celles des humanistes de la Renaissance, puis des historiens de la philosophie à l’Âge classique ? J’avais commencé à entrevoir les lignes de recherche dessinées par ces questions en constatant combien l’opinion selon laquelle les Grecs, et eux seuls, avaient inventé et pratiqué la philosophie était, au premier regard, d’apparition récente. Les premières tentatives d’exploration menées en cette direction ont été menées notamment dans les communications ou textes suivants : 1/ au cours d’une mission en Inde pour le Ministère des Affaires Étrangères, ube série de conférences intitulée « Is the Greek Invention of Philosophy a Modern Myth ? », donnée dans les Départements de Philosophie des universités de Bombay, Delhi et Bénarès en janvier 1990 ; 2 / à l’Université de Paris-VIII, dans le cadre du groupe de recherche sur « L’identité philosophique européenne », le 23 Mai 1990, communication : « L’esprit grec de l’Europe philosophique, esquisse d’une généalogie » ; 3 / dans l’article « L’Inde des Grecs au XIXème siècle» (in « Chercheurs de sagesse ». Hommage à Jean Pépin sous la direction de Marie-Odile Goulet-Cazé. (Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1992, pp. 691-703).
Ces tentatives à peine amorcées avaient été mises de côté afin de pouvoir constituer la documentation nécessaire à la recherche sur la découverte du bouddhisme et ses interprétations philosophiques. Il m’a paru souhaitable de les reprendre ensuite, dans une autre perspective, qui était rendue possible par le travail déjà accompli. L’enquête menée dans les textes du XIXe siècle m’avait en effet conduit à remonter à bon nombre d’ouvrages, en particulier d’histoire de la philosophie, des XVIIIe et XVIIe siècles, où l’expression « philosophie des barbares » est d’usage courant. L’histoire de la philosophie du hollandais Georges Horn, publiée à Leyde en 1655 (sept volumes), distingue par exemple la « philosophie d’avant le déluge » et la philosophie post-diluvienne, laquelle se divise elle-même en « barbare » et en « grecque ». Il ne lui pas difficile d’envisager que la philosophie ait pu commencer avant les Grecs, et indépendamment d’eux. Il en va de même, à peu de choses près, dans The History of Philosophy de Thomas Stanley, dont les 1 200 pages in 4° paraissent à Londres la même année 1655. On retrouve une classification identique dans la publication qui fut la plus lue, la grande Historia Philosophiæ de Jakob Brucker (1742 – 1744) où la catégorie « Philosophia Barbarorum » englobe les philosophies respectives des Hébreux, des Chaldéens, des Chinois, des Indiens, etc.
J’avais donc forgé le projet d’une histoire raisonnée de l’expression « philosophie des barbares », qui tenterait de classer ses usages dans les sources grecques et d’en suivre l’évolution dans les représentations que la philosophie donne d’elle-même, de ses commencements et de son histoire. Il existe en effet de multiples occurrences de l’expression « philosophie des barbares » – et de quelques syntagmes très voisins – dans les textes grecs de l’Antiquité (Hérodote, Isocrate, Hécatée d’Abdère, mais aussi, plus tardivement, Eratosthène, Agatharcide de Cnide, Posidonius d’Apamée, Apollonios de Tyane) et chez les Pères de l’Eglise (notamment Clément d’Alexandrie).
En prenant appui sur certains des travaux menés en ce domaine (par exemple ceux d’Arnaldo Momigliano, Sagesses Barbares ou de François Hartog, Le Voyage d’Ulysse), je projetais de contribuer à l’élaboration d’une typologie historique des traits constitutifs, chez les Grecs, de ces « barbares » à qui des philosophies sont attribuées. Ce ne sont en effet ni les mêmes peuples ni les mêmes motivations qui se trouvent en jeu d’une période à une autre quand il s’agit d’attribuer à des non Grecs la constitution d’un savoir philosophique. Alors que la particularité grecque, pour Platon comme pour Aristote, voire pour Diogène Laërce, est de réinventer de manière cyclique la philosophie, après des effacements cataclysmiques ou de lents déclins, il existe chez les Alexandrins une supériorité « philosophique » attribuée aux Barbares, supposée détenteurs de secrets très antiques.
Ces questions ont notamment fait l’objet d’une étude publiée en 2005, « La supériorité philosophique des Barbares affirmée par les Grecs », in J. Lacrosse (dir.) Philosophie comparée. Grèce, Inde, Chine, Librairie Philosophique J. Vrin, Annales de l’Institut de Philosophie de l’Université Libre de Bruxelles, p. 167 – 180, et d’une conférence donnée en anglais, sur son invitation, au Département de Philosophie de Northwestern University (Chicago) le 2 juin 2006, intitulée « Barbarian philosophers as seen by the Ancient Greeks ».
En remontant des usages de l’expression « philosophie des barbares » dans les histoires de la philosophie de l’Age classique et du siècle des Lumières à leurs antécédents dans l’Antiquité grecque et latine, j’avais pour premier objectif de chercher dans quelle mesure il est possible de dégager, à partir de ce point particulier, des invariants dans l’imaginaire philosophique des Autres et des ailleurs. Il semblait en effet que, dans des contextes historiques tout à fait distincts, certains traits récurrents se retrouvaient dans les représentations occidentales des barbares : par exemple, le lien à temps premier, à une humanité originaire, antérieure aux cultures actuelles, et qui se trouverait par là même non pas plus sauvage ou plus brute mais au contraire plus sage, plus pure, plus proche d’une nature garante d’équilibre.
L’enquête fut donc d’abord conduite sur un ensemble de textes grecs avec pour ligne directrice les interrogations soulevées par le lien des barbares avec les confins (confins du temps, confins de l’espace, confins du langage, confins de la culture). Mais la constitution des corpus de textes pertinents et l’approfondissement progressif de la réflexion sur leur contenu, ainsi que la construction des analyses requises par les notions de « barbare » et de « barbarie » m’ont fait apercevoir à mesure des perspectives que je n’avais pas envisagées initialement. La mise en œuvre de ce programme de recherche a été grandement facilitée par le soutien que m’ont apporté la plupart des membres de l’équipe de l’UPR 76, où j’ai notamment organisé sur ces thèmes des journée d’études en 1999, 2000 et 2005, ainsi que par les documentations disponibles à la Bibliothèque de la Fédération 33 du CNRS (Villejuif) comme à la Bibliothèque de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, où j’ai été autorisé à venir travailler également.
Le travail mené durant cette période m’a conduit notamment à scruter la construction des registres de sens du terme grec « barbaros »? et de ses dérivés, à tenter de mettre en perspective les connaissances grecques relatives aux autres cultures, à étudier des points de rupture ou de retournement dans la représentation du rapport Grecs-Barbares, à conduire des analyses comparatives des champs sémantiques du grec « barbaros » et du latin « barbarus ».
Ces recherches m’ont progressivement conduit à m’interroger sur la généalogie de la notion moderne de « barbarie ». En effet, le travail conduit sur les registres de signification du terme grec « barbaros » et de ses dérivés m’avait permis de constater combien la notion actuelle de barbarie n’y trouvait pratiquement aucune résonance. Les formulations grecques du type to barbarikon ou ta barbarika désignent toujours les mœurs des barbares, leurs comportements et coutumes, éventuellement leur tournure d’esprit spécifique, mais pas cette forme de cruauté et d’inhumanité qui appartient en propre à la notion moderne de barbarie. D’ailleurs, pour traduire en grec ancien ce que nous entendons aujourd’hui par barbarie, on utiliserait plutôt les termes évoquant la cruauté (ômotès, agriotès), et non un dérive de barbaros.
A partir de ce constat, il m’a paru nécessaire de rassembler des données sur la genèse de la notion contemporaine de « barbarie » dans la perspective d’une étude sur sa généalogie. C’est dans cette voie que j’ai commencé à m’engager à partir de 2001, en examinant des sources médiévales, des textes de la Renaissance, ainsi que de l’Age classique et des Lumières. Ces dossiers durent ensuite être confrontés à celui du développement du « mythe barbare » au XIXe siècle
Cette étude sur la genèse de la notion de « barbarie » s’est ensuite poursuivie dans les trois directions suivantes : le couple latin humanitas – feritas, la mutation introduite par l’avènement de la pensée chrétienne mettant la « faiblesse » au cœur de son modèle humain, le lien entre barbares et violence destructrice forgé par les invasions germaniques.
Ces points nouveaux m’ont conduit à approfondir l’analyse transversale de la représentation du « barbare » comme « opérateur de division ». L’examen de la diversité des sens possibles de « barbare » dans des contextes philosophiques et historiques distincts m’a en effet convaincu qu’il n’est pas possible d’attribuer un contenu conceptuel à un terme qui dénote aussi bien le maintien des traditions que la destructions des savoirs, la spiritualité que la sauvagerie, et qui peut signifier par exemple, selon les cas, aussi bien « chrétien » que « non chrétien ». Ma réflexion s’est donc tournée vers l’analyse des fonctions remplies par ce terme, et vers une conception de son rôle comme opérateur de division, permettant dans des ensembles différents de produire des clivages entre « dedans » et « dehors », « soi » et « autre », familiers et étrangers.
Il m’a fallu enfin intégrer aux enseignements de ces dossiers grecs et latins les données modernes et contemporaines sur la thématique des « barbares du dedans » au XIXe et au XXe siècle, sur la disparition des barbares et sur la vaine attente dont ils font l’objet dans plusieurs œuvres littéraires contemporaines. Ces éléments modernes ont nourri le travail d’un séminaire, poursuivi à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Sciences Po), chaque second semestre, en 2005, 2006 et 2007. Ce séminaire de 14 séances de deux heures, intitulé Qu’est-ce qu’un barbare ? prenait place dans le cadre des enseignements d’ouverture de l’I.E.P. et réunissait une vingtaine d’étudiants de quinze nationalités différentes.
Le principal apport de ce séminaire à mon propre travail a été de me pousser à mettre en lumière – à partir notamment de la lecture et du commentaire de textes de Saint Augustin, Montaigne, Diderot, Michelet, Nietzsche, Freud, Collingwood – les liens possibles entre les problématiques de l’Antiquité et certaines questions de l’époque actuelle. J’ai également été conduit par les nécessités pédagogiques de ce séminaire à tenter de clarifier certains éléments de la notion moderne de « barbarie », qui n’appartiennent pas à l’horizon de pensée antique.
Chaque année, deux ou trois séances de ce séminaire ont été organisées autour de l’intervention d’un invité : en 2005 Barbara Cassin (CNRS) et François Hartog (EHESS), en 2006 Jacqueline de Romilly (Collège de France, Académie Française), Charles Malamoud (EHESS) et Mireille Delmas-Marty (Collège de France), en 2007 François Jullien (Paris VII), et Paul Audi.
L’ouvrage exposant de manière synthétique les principales lignes de force de cette recherche, intitulé Généalogie des barbares, est paru en octobre 2007 aux éditions Odile Jacob (368 p.). Il comprend une orientation bibliographique classée de manière thématique (p. 332-353) qui peut être utile aux étudiants et, sur certains points, aux chercheurs. Une traduction de cet ouvrage en langue espagnole, et une traduction en langue coréenne, sont actuellement en cours.
Comme il était prévu, j’ai soutenu sur l’ensemble de ces travaux, et plus particulièrement sur le programme relatif aux représentations des barbares et de la barbarie, une Habilitation à diriger des recherches, à partir d’un document de synthèse intitulé « Représentations, altérité, identité. Discours européens et philosophies des autres ».
La soutenance a eu lieu à l’EHESS (Paris), le 2 avril 2008, sous la direction de François Hartog (EHESS), devant un jury présidé par Philippe Régnier (CNRS), et composé de Marc Augé (EHESS), Marcel Detienne (EPHE et Johns Hopkins University), Marie-Odile Goulet-Cazé (CNRS) et François Hartog (EHESS).
D’autre part, ma contribution au travail collectif de l’UPR 76 s’est poursuivie régulièrement depuis 1997. J’ai notamment traduit et commenté, dans le cadre du travail collectif sur les fragments de Porphyre, les fragments 246 et 247 de l’édition Smith, relatifs à l’âme et supposés provenir, dans la version qu’en transmet Eusèbe de Césarée, du traité perdu de Porphyre Contre Boéthos.
J’ai ensuite participé, depuis sa création, au groupe de travail sur les fragments moraux de Chrysippe dirigé par Mme Marie-Odile Goulet-Cazé, où j’ai notamment assuré : 1 / traduction et commentaire de deux fragments : a / Origenes, In Matthaeum X 4, 1, p. 5, 5-10 Klostermann-Benz (Origenes Werke X = GCS 40) (SVF III 170) ; b / Clemens Alexandrinus Strom. VII 7, 38, 2-3 Le Boulluec (SChr 428, p. 139) (SVF III 176) ; 2 / traduction et commentaire de six fragments figurant dans des traités d’Alexandre d’Aphrodise : SVF, III, 180 (Alexandre d’Aphrodise, Traité 20, Ivo Bruns, p. 163), SVF III, 183 ?Traité? 17 ??p. 150), SVF, III, 185 (Traité 20 p. 162), SVF, III, 192 (Traité 20, p. 163), SVF, III, 193, SVF III, 194.
Mon travail s’est développé dans deux directions distinctes mais complémentaires
D’une part, parvenir à discriminer avec le plus de netteté possible les éléments qui sont attribuables aux stoïciens en les distinguant de la reprise, par Alexandre d’Aphrodise, d’un vocabulaire stoïcien qu’il lui arrive d’utiliser même dans les critiques dirigées contre eux au nom de sa fidélité à la doctrine aristotélicienne, j’ai commencé à rassembler les éléments d’un examen des différences des doctrines d’Aristote et des Stoïciens sur la question de la relation entre la vertu et le bonheur. Ce thème a été retenu dans la mesure où il est au cœur du Traité 20 de la Mantissa (De Anima, Liber alter) d’où 5 sur 6 des fragments considérés sont extraits. Les premiers éléments recueillis ont fait l’objet d’un exposé, encore très imparfait, en 2004.
D’autre part, dans la mesure où les cinq fragments à étudier se trouvent disséminés dans le texte, jusqu’à présent non traduit, de ce Traité 20, dont une vue d’ensemble devrait permettre de mieux saisir leur sens respectif, nous avons pris collectivement la décision de mettre sur pied une traduction de travail de tout le Traité 20, pour notre usage, dans le but d’éclairer les éléments attribuables à Chrysippe. Au cours de l’été 2004, plusieurs membres de l’équipe ont donc traduit chacun quelques pages et j’ai rassemblé les différents passages pour commencer à étudier la logique argumentative de ce Traité, qui s’est révélée particulièrement touffue et complexe.
Ce travail s’est poursuivi par l’analyse des chapitres 13 et 14 du De Fato d’Alexandre d’Aphrodise, d’où sont extraits plusieurs fragments retenus par von Arnim. Je reviendrai ensuite sur l’ensemble des questions soulevées par ces fragments, en particulier sur ce qu’ils peuvent nous apprendre du stoïcisme de manière directe ou indirecte, dans une étude provisoirement intitulée « Alexandre d’Aphrodise, critique ambigu des Stoïciens » qui fera d’abord l’objet d’un exposé, au cours d’une séance de travail du groupe et sera ensuite remaniée pour parvenir à un chapitre du volume collectif qui rassemblera les résultats de nos travaux.