Traquer l’esprit d’une maison
Tout le monde croit en avoir vite fait le tour. En quelques heures, quelques jours, chacun pense avoir tout vu, tout ressenti d’une maison. Voilà la première bévue.
Il convient au contraire de patienter. Car rien n’est plus lent, secret, subtil et rusé que la plus banale des demeures. Même toute petite, elle offre des recoins, des perspectives, des changements innombrables d’atmosphères qui ne s’appréhendent pas d’emblée. Vous les découvrirez peu à peu, au hasard, pas à pas. Il n’existe ni règle ni méthode – sauf d’être attentif à tout.
Observer, par exemple, combien la maison n’est pas la même en hiver et en été, sous le soleil ou sous la pluie, quand il vente ou non, à midi ou à minuit. Elle a ses températures propres, ses rythmes de lumière spécifiques, son humidité ou sa sécheresse, ses coulis d’air, ses souffles, sa respiration singulière.
Et aussi son odeur, selon les matériaux et leur imbrication, selon les ouvertures, l’exposition, les sols et sous-sols. Chaque bâtiment possède aussi ses sons et ses silences, ses teintes et leurs variations, ses régimes d’ombres et de clartés, son tracé d’espace.
Encore un peu de temps, vous finirez par éprouver ce que la maison où vous êtes a de tendre ou de froid, de nostalgique ou de vengeur. Car toutes ont des caractères secrets, assez semblables à ceux des personnes. Certaines sont bêtes, d’autres sournoises. Quelques habitations sont austères et revêches, beaucoup sont espiègles, joueuses, toutes sont difficiles à apprivoiser.
A cause de leur histoire, probablement. Aucune, en effet, n’est faite seulement de pierre, de bois, de brique et de ciment, de carrelage, de tuile ou d’ardoise. Une maison est aussi constituée des idées de ceux qui l’ont conçue, des pensées de ceux qui l’ont construite, des péripéties qui s’y sont déroulées. On ne sait bien sûr ni comment ni pourquoi, mais des lambeaux et des bribes de ce passé flottent toujours dans l’air ou s’agglutinent au bas des portes.
N’oublions pas non plus qu’une maison n’est jamais absolument close, tout à fait hermétique. Elle existe par la répétition d’une multitude d’allées et venues, abrite une possibilité sans limite d’arrivées, de départs, de transits.
Encore un moment, un dernier pas, et vous approcherez de l’énigme essentielle. L’élucider est hors d’atteinte, mais la formuler n’est pas difficile : chaque maison imprègne les gens qui y séjournent, règle leurs parcours, en partie leurs humeurs. Ce ne sont pas eux qui vivent dans la maison… c’est elle qui les habite.
Essayez donc – une fois dehors, au loin, ou longtemps après – de traquer en vous l’esprit d’une maison, les traces qu’elle a laissées, sa présence qui persiste. Vous verrez, vous n’en aurez pas vite fait le tour.