Le temps fuit ? Appelez le plombier !
Un début d’après-midi comme les autres. Sur les 200 mails de la matinée, une bonne trentaine exigent réponse. Même quelques mots (« bien noté », « pas d’accord », « merci vivement »…), ça prend du temps. D’autant qu’il y a encore les autres comptes, ceux qui ne s’affichent pas sur cet écran, pour ne pas tout saturer, et qu’il faut relever en vitesse. Et puis Twitter, et Facebook, et LinkedIn, et tutti quanti. Sans oublier Skype et les textos. Et bien sûr les doublons (« ce mot pour te dire que je t’ai envoyé un mail »), et les docs joints pas joints, et les confirmations à répétition (« Nous vous rappelons que la réunion de demain 11 heures se tiendra dans la salle 612 »). Même en faisant vite, il y en a bien pour deux heures.
Pour rien. Dispersion pure, poussières d’infos, bribes de mots. De quoi se retrouver bientôt la tête explosée, éclatée en mille morceaux, sans même savoir pourquoi. Comme si le vide même était devenu urgent, incontournable, envahissant. Comme si les machines à économiser du temps s’ingéniaient à le faire fuir : plus on en gagne, plus il manque. S’arrêter pour penser ? Prendre le temps de réfléchir ? On aimerait bien. Il paraît que ça existait, autrefois. Mais si. D’après ce qu’on dit, il y aurait même eu des gens qui passaient le plus clair de leur temps à creuser des idées, à inventer des concepts, à créer des œuvres. Sans déc…
Alors surgit le grand rêve de tout éteindre, tout plaquer. Enfin le silence, le blanc, le temps. Marcher sans savoir vers quoi, sans aller nulle part. Se poser tout en haut, dans les Himalayas, chez les sages, sans paroles, juste un gong, une fois l’an, et encore. Contempler le ciel, laisser passer les nuages. Ne pas compter, ni moutons ni yaks, se fondre dans l’espace. Retrouver le temps lent, les cycles des vents, le cours des saisons, les rythmes des corps. Renouer avec les vraies questions, les souffles, l’humain. Larguer le carnaval des petits riens.
Sauf que c’est un rêve. Trop fort, trop beau, trop grand pour être praticable. En tout cas pour la plupart d’entre nous. L’issue se tient quelque part entre le tourbillon des dispersions et le rassemblement unique. Une bête alternance, un va-et-vient, un bricolage combinant courses contre la montre et fragments d’éternité. Solution moins glorieuse, moins romantique, bien sûr moins radicale que la grande fuite définitive hors du stress. Mais pas moins exigeante, ni moins créative. Au contraire. Il nous reste à fabriquer des valves du temps, des clapets horaires, des régulations de conscience. L’inventeur du thermostat temporel est attendu au parloir.