Pourquoi nos politiques font-ils des livres ?
La pile de leurs ouvrages est plus haute chaque semaine. Après Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, Alain Juppé, Jean-François Copé, j’en oublie…, Nicolas Sarkozy va publier le sien lundi prochain. Cette liste va s’allonger encore : quantité d’hommes politiques feront bientôt un livre. Candidat ou non à la primaire, présidentiable ou pas, coeur à droite ou à gauche, l’Homo politicus gallicus se métamorphose volontiers en auteur. Avec ardeur ou modestie, brio ou maladresse, talent personnel ou plume empruntée, être présent en librairie lui devient presque obligatoire. Ce fait peut étonner. Car une réelle nostalgie de l’exercice littéraire – qui anima différemment Pompidou, Giscard ou Mitterrand – n’est pas à l’ordre du jour. Alors, pourquoi donc, en 2016, tant de livres de nos hommes politiques ?
Certes, le goût des classiques subsiste. Il serait même tentant de jouer à rapprocher chacun de nos politiques-auteurs d’un penseur illustre dont il évoque l’attitude, fût-ce à son insu. Par exemple, le livre annoncé de Nicolas Sarkozy pourrait avoir cette bande-annonce : « J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon […] Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l’ai été; bon, généreux, sublime, quand je l’ai été : j’ai dévoilé mon intérieur […] « . Je l’ai empruntée au premier paragraphe des « Confessions » de Rousseau. A ce jeu, il se pourrait aussi qu’on ait l’embarras du choix pour attribuer ces vers pompeux : « Par qui voit-on cicatrisée/La trace de nos maux divers ?/Sous le poids de tant de revers,/Qui soutient la France épuisée ? » Ce « Chant des industriels « , rédigé par Rouget de Lisle en 1821 à la demande de l’utopiste Saint-Simon convient finalement à tous les sauveurs de la France… sincères, compétents ou frelatés.
Reste à scruter, plus sérieusement, les motifs, vertueux ou non, qui poussent aujourd’hui nos politiques vers la publication d’un livre. On y trouve, sans surprise, d’évidentes considérations tactiques : occuper de nouveaux espaces médiatiques, diffuser des propositions politiques, nouer avec les électeurs des liens différents, percevoir, en certains cas, des droits d’auteur… Malgré tout, ces considérations n’expliquent pas tout, loin s’en faut. Car cet engouement politique pour le papier peut avoir d’autres avantages. A sa manière, il a quelque chose de rassurant.
En effet, au temps de l’empire numérique, sous l’emprise de la twittérisation générale de la parole politique, au moment où semblent dominer sans partage petites phrases et querelles de plateaux télévisés, il est remarquable que nos dirigeants se mettent à rédiger d’amples propos. Peu importe qu’ils soient aidés, un peu ou beaucoup. Le point principal est l’existence d’un « discours long « , articulé, argumenté, s’adressant à tous. Car voilà un élément très ancien, et central, de la démocratie. Les Grecs de l’Antiquité ne concevaient pas de décision démocratique sans ces « discours longs » – des exposés détaillés, qui s’opposent, face à l’Assemblée, et détaillent les raisons en faveur ou en défaveur de tel ou tel choix collectif. Petites phrases et slogans, qu’ils nommaient « brachylogie » (parole courte), paraissaient aux démocrates antiques plus ou moins suspects de faire le jeu de la tyrannie.
Avec le livre, dont les Anciens ne connaissaient aucun usage populaire, il en va encore autrement. Chacun peut se plonger, à son gré, en silence, chez soi, dans un programme, une analyse, une démonstration. Y adhérer ou non, les critiquer ou pas. Sans oublier que leurs écrits d’aujourd’hui seront toujours opposables à ceux qui gouverneront demain… Tous les avantages paraissent donc du côté du livre, papier ou numérique. Il marque sans doute un renouveau de l’offre politique plutôt qu’un nouvel archaïsme de l’exception française. A une seule condition, qui saute aux yeux : que le contenu existe, et tienne la route. Somme toute, de deux choses l’une. Ou bien ces livres ne sont que des opérations de communication, des non-livres, et tout le monde y perd, éditeurs, lecteurs, électeurs et démocratie. Ou bien ce sont des ouvrages construits et constructifs, intelligents et pertinents, où s’exposent et s’affrontent de vraies visions. Alors la politique a tout à y gagner.