Le climat se dérègle, les discours aussi
Les négociations de la COP21 entrent dans la dernière ligne droite. Le résultat demeure en suspens, mais il est d’ores et déjà acquis que la conférence de Paris aura au moins marqué une prise de conscience mondiale bien plus aiguë que les précédentes. Si chacun continue évidemment à vouloir protéger ses intérêts, locaux ou régionaux, des constats fondamentaux sont désormais officiellement partagés par l’immense majorité des Etats, comme ils le sont par la plupart des habitants de la planète. Ce qui est admis ? Le climat change, les conséquences de ce dérèglement sont multiples et profondes, des adaptations humaines sont nécessaires, une atténuation du processus est possible et souhaitable. Ce n’est pas rien.
D’autant que l’ampleur et l’urgence des mesures requises sont, elles aussi, clairement partagées. Quantité de questions demeurent ouvertes : quelle part exacte du processus est imputable aux activités humaines ? Quel nombre de degrés est tolérable ou contrôlable ? Comment répartir le coût des changements et selon quel calendrier ?… Entre autres. Ce qui est nouveau, c’est que tout le monde reconnaît l’importance des mutations à accomplir. A terme, nos comportements de production et consommation doivent se modifier. Habitat, transports, alimentation sont à revoir. La liste pourrait se poursuivre, la conclusion sera que nos cartes mentales sont à reconfigurer. Ce défi est collectif et urgent : 2100 n’est pas un horizon brumeux. Des enfants qui ont dix ans aujourd’hui vont le connaître, leurs enfants plus encore. Tout cela est largement répété. Et à juste titre.
Mais pourquoi faut-il que ces analyses, négociations et décisions s’accompagnent d’une telle dramatisation ? Il existe de grands problèmes à régler, de vrais défis à relever, certes. Rien cependant qui justifie vraiment, à la réflexion, ces refrains répétant en boucle qu’il faut sauver la planète, sauver l’humanité, sauver la paix. Que c’est notre dernière chance, maintenant ou jamais. « Un accord ou la mort ! », voilà le sous-texte. Il est, au choix, suspect ou grotesque. Parce que, quoi que nous fassions, la planète n’est pas près de disparaître. L’humanité non plus. La paix, quant à elle, n’a jamais vraiment existé. Et l’accord des Etats, sans être négligeable, laisse entière une série de questions importantes, mais qui ne sont pas de vie ou de mort. A quoi répond donc la montée du grand pathos alarmiste, catastrophiste, apocalyptique ? On pourrait penser qu’il s’agit simplement de faire peur, pour mieux pousser à agir. Dès qu’on s’y arrête, cette mobilisation par la crainte est une explication trop courte.
Une autre piste est à suivre : entre les hommes et la nature, l’imaginaire joue un rôle central. La représentation de nos relations au cosmos n’est pas simplement rationnelle, quelle que soit la civilisation ou l’époque. La nature est un fantasme autant qu’une réalité. On la rêve, envers les humains, tantôt maternelle et protectrice, tantôt hostile et menaçante, ou encore susceptible de se venger de nos offenses. Cet imaginaire convoque des craintes archaïques et puissantes – déflagration, éclatement, extinction -, des mythes de fin du monde et d’apocalypse, des fantasmes de toute-puissance comme de culpabilité, des rêveries symétriques de Paradis originaire et d’Enfer terminal. Les ingrédients se retrouvent dans quantité de recettes diverses – gnoses, prédications, délires mystico-ésotérico-prophétiques. Il n’est pas étonnant qu’ils reviennent dans certains discours écologiques. Mais c’est dommage.
Car ces dérèglements de la pensée ne servent pas la cause du climat, de la transition énergétique ni de la décarbonisation. Nous pouvons devenir sobres sans nous croire ni coupables, ni condamnés à quoi que ce soit, et surtout sans nous prendre pour les sauveteurs du monde. Nous pouvons décider de modifications profondes, et les mettre en oeuvre, sans nous raconter cette kyrielle de vieilles histoires. Car laisser croire et dire qu’il faut de toute urgence « sauver » la terre, l’humain et la paix, c’est aussi préparer de possibles fanatismes, voire, un jour ou l’autre, de nouveaux totalitarismes. Il suffit d’expliquer, en long et en large, comment de gros risques sont en marche, et comment il est possible de les réduire. Tout peut être décidé et mis en oeuvre rationnellement. Ce serait déjà beaucoup. Le reste pourrait bien se révéler contre-productif.