Les héros de la sagesse
Il y a longtemps que je fréquente les récits de ces êtres étranges que l’on appelle des sages. Continuant mes enquêtes philosophiques sur nos représentations des autres, je propose de regarder à la loupe quelques épisodes de la vie des sages. Pour savoir comment s’organise cette figure mythique. Pour dégager certains de ses paradoxes fondateurs. Pour comprendre surtout pourquoi elle nous fascine, et ce qu’on peut espérer.
Edition Plon
226 p.,
18,50 €
En librairie le 3 septembre 2009
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La présentation de l’éditeur
Disparus depuis longtemps, les sages nous fascinent toujours. Nous rêvons de leur sérénité, car nous sommes inquiets. De leur silence, car nous sommes saturés de paroles. De leur bonheur parfait, parce que nous doutons du lendemain.
En écrivain, Roger-Pol Droit dessine leurs visages réels ou légendaires, restitue leur allégresse et leurs gestes. D’Athènes aux montagnes de Chine, de Jérusalem à l’Himalaya, il nous fait rencontrer Diogène, Confucius, Hillel, Bouddha et bien d’autres. Ces héros se révèlent ignorants mais savants, doux mais brutaux, pauvres mais riches, cachés mais visibles…
En philosophe, Roger-Pol Droit éclaire cette fascinante étrangeté et ses paradoxes. Il montre que le sage n’existe pas, sauf comme un rêve antique que Montaigne, Spinoza ou Nietzsche tentent de faire revivre. Serons-nous capables, à notre tour, de lui donner un avenir ?
Extrait
1 – Athènes, vers 330 avant notre ère.
On dirait qu’il va mordre. Hirsute, mal lavé, il fait peur aux enfants. Et il pue, plus encore qu’une bête sauvage. Pourtant, il n’a pas l’air féroce, ni vraiment méchant. Ce qu’il attaque, en gueulant, en aboyant, en éructant, ce sont nos lâchetés, nos conventions, nos conformismes. En fait, il aime les humains. Mais il déteste les gens qui font semblant, c’est-à-dire presque tout le monde. Diogène, lui, se contente de dire la vérité.
Quand il a faim, il le dit. Et il mendie de quoi se nourrir. Oui, il mendie, lui le fils de banquier, l’ancien faussaire exilé, l’homme venu de Sinope, il y a plusieurs années déjà, et qui vit aujourd’hui dans les rues d’Athènes, comme un chien, volontairement. Il fait tout pour s’endurcir, s’accoutumer aux sensations pénibles. On le voit se rouler dans la neige en plein hiver, ou demeurer au soleil en plein midi l’été.
Avec la faim, c’est une autre affaire. Elle tenaille et s’accroche. Alors, quand il n’a plus rien à se mettre sous la dent, il mendie. Sans la moindre honte. Tout est à tout le monde, pense-t-il. Quand on lui fait l’aumône, on ne lui donne rien, on lui rend ce qui est à lui comme à tous. C’est pourquoi il ne s’abaisse devant personne. Au contraire, il houspille les passants tant qu’il peut.
« Eh toi, oui toi, le gros, tu m’entends ? Tu donnes quelque chose pour que je mange ? Au lieu de t’empiffrer, tu ferais bien de me nourrir ! J’ai faim, je te dis ! Et je j’interdis de me laisser comme ça ! Tu entends ? » L’autre passe son chemin sans tourner la tête.
Alors Diogène reconnaît dans la foule un avare, qui lui a déjà promis quelques pièces, plusieurs fois, toujours pour le lendemain. Et il se met à hurler : « Hé, l’ami, c’est pour ma nourriture que je veux ton argent, pas pour ma sépulture ! Si tu attends trop longtemps, tes pièces serviront à m’enterrer ! » Quelques passants rient. Personne ne donne. Les heures passent. Pas la moindre pièce. Pas même un bout de pain ou quelques olives. Il reste seul avec sa faim et sa main tendue.
Le soleil est déjà haut et personne ne lui a donné quoi que ce soit. Diogène ne se démonte pas. Il continue à invectiver les passants. Le fils d’une prostituée lui lance une pierre, il lui crie : « Attention, mon gars, tu pourrais toucher ton père ! » Un chauve l’injurie, il rétorque : « Je félicite tes cheveux d’avoir abandonné ta sale tête. » Un marchand le menace du poing, Diogène réplique : « Tu te trompes ! Quand on tend la main à ses amis, on ne ferme pas les doigts ! » Aller provoquer Diogène est presque un jeu pour certains passants. Sous la violence apparente, ils cherchent les réparties profondes. Et lui, sous ses apparences grossières, s’efforce d’éveiller les Athéniens. Il les repousse et les choque pour mieux les attirer sur le chemin de la vertu.
Un étranger de passage s’avance et l’interpelle : « Eh, le philosophe, tu sais ce qui vieillit le plus vite chez les humains ? – La bienveillance, répond Diogène. – Et ce qu’il y a de plus beau au monde ? Le franc-parler ! D’ailleurs… toi, tu es un emmerdeur », ajoute ce chien grossier, avant de demander, pour la centième fois, de quoi se nourrir. Un autre jeune homme prend la relève. « C’est vrai, le chien, que tu vis ici en exil ? – Je suis très heureux d’être exilé, c’est grâce à cela que j’ai commencé à philosopher ! – Et tu en tires quoi, de la philosophie ? – Au moins ça : être prêt à toute éventualité. – On m’a dit aussi que tu avais dû partir de chez toi parce que tu avais falsifié la monnaie… – C’est tout à fait exact, dit Diogène. Il est vrai aussi que quand j’étais beaucoup plus jeune je pissais au lit, et ça ne m’arrive plus. »
Diogène ne craint pas les mots crus, ni les gestes obscènes. Il vit sans rien cacher, au milieu de la rue, sous le regard de tous. Il fait ses besoins comme un chien, sans se soucier des gens. Et se masturbe, aussi, en pleine rue. Pas question de dissimuler. Il a choisi de tout vivre au grand jour. Pas d’artifice, aucune cloison entre public et privé.
Voilà un sage plutôt rude ! Il fait preuve d’une brutalité inattendue. On imagine généralement le sage discret, pudique, respectueux des autres, avant tout bienveillant. Celui-là a choisi d’être rugueux, désagréable, moqueur, parfois presque blessant. Est-ce vraiment pour faire mal qu’il multiplie les sarcasmes ? Rien n’est moins sûr. A côté de la carapace bourrue, sous les épines et les insanités de surface, il y a de l’attention, de la tendresse, un sens à vif de l’humain.
Il suffit, pour s’en rendre compte, de demander : pourquoi nous engueule-t-il ? Pour lui ou pour nous ? Pour nous enfoncer ? Ou parce que nous savons, dans le fond, que la nature peut nous rendre heureux, qu’il suffirait de la rejoindre, vraiment, d’un coup, en droite ligne, mais que nous n’osons pas. Les lits nous sont si confortables, les vanités nous retiennent, les obligations nous ligotent. Honneurs, travail, parents… c’est nous qui tissons les chaînes qui nous accablent. Diogène veut nous secouer assez fort pour nous faire lâcher tout cela. Il tente un traitement de choc pour nous aider à rompre, une bonne fois, ces liens néfastes et nous pousser à refuser définitivement, comme lui, la vie en troupeau, les méfaits de la civilisation, les faux semblants et l’hypocrisie.
Cette énergumène philosophe est une figure particulière de sage. Mais il n’est pas unique de son espèce. Au contraire : son style de vie fut suivi et imité par de nombreux disciples. Tous ont tenté de vivre, comme Diogène de Sinope, une vie de chien – une vie « canine », ou encore « cynique ». Cela dura au moins 600 ans.
Rendez-vous
Radio Télé
– France Culture
Roger-Pol Droit invité de Raphaël Enthoven dans l’émission Les nouveaux chemins de la connaissance le vendredi 4 septembre de 10 à 11 h
– France Inter
Revue de presse Bruno Duvic
vendredi 4 septembre 2009
– Le blues du trader
Coup de cafard dans le monde de la finance…
– Le Point
C’est dissonant, en cette époque de blues des traders. Roger Pol-Droit explique que le mot « sage » est devenu terne aujourd’hui. « Pour les sages antiques : Bouddha, Socrate, Diogène, il s’agissait de transformer radicalement l’humain. Pour nous, le sage est en passe de devenir un élément de bien-être, produit cosmétique, bibelot pour paysage intérieur. Des sagesses allégées, lyophilisées, sous vide. Rien de répréhensible, mais on peut se demander si nous ne pouvons pas espérer autre chose ».
Bonne journée…
– Direct 8
Les héros de la sagesse dans le « top livres » de Direct Soir le lundi 7 septembre
Presse écrite
– Le Point
Bonnes feuilles de Les héros de la sagesse publiées dans le numéro du 3 septembre
– Le Monde des religions
Eliette Abécassis consacre son « Coup de coeur » dans Le Monde des Religions de septembre-octobre au livre Les héros de la sagesse
– Philosophie Magazine
Dans le numéro de septembre, un entretien de quatre pages de Roger-Pol Droit avec Martin Legros, où est évoqué le livre Les héros de la sagesse
Web
– Nonfiction.fr
Prochainment, un grand entretien de Roger-Pol Droit avec Bastien Engelbach sur nonfiction.fr
Rencontres et signatures
Librairie Mollat Bordeaux Le 2 octobre à 18 h
FNAC Italie Paris le 9 octobre à 17 h 30
Lundi Philo à Nantes le 19 octobre
Journée Dédicaces Sciences Po Paris le 5 décembre