TU NE LE COMPRENDS PAS ? LIS-LE !
C’est une stupéfaction que tout le monde, sans doute, a connu un jour ou l’autre. On a commencé à lire, en haut de la page, bien décidé à découvrir un texte, à saisir son sens. Plein de bonne volonté et de probité candide, on aborde le déchiffrement d’un œil confiant, l’esprit résolu et appliqué. Hélas, une fois arrivé en bas de la page, heurtant la dernière ligne, il faut bien le constater : on n’a rien compris ! Absolument rien. Le texte a résisté, il est demeuré lisse, opaque, mutique. Comment est-ce possible ? La stupéfaction vire à la sidération quand on se rend compte que les mots n’appartiennent à aucun jargon technique. Chacun d’eux est courant, habituel, sans mystère. De leur assemblage n’émerge, malgré tout, aucun sens.
Pareille déconvenue suscite, le plus souvent, des réactions de fuite, d’oubli, de déni. Ou de mépris pour le texte, ou encore pour soi-même. Il est plus rare, mais bien plus intéressant, de s’arrêter sur ce qui se passe et de tenter de ruser, de surmonter l’obstacle ou bien de le contourner. C’est ce que fait Olivier Haralambon, dans un court et merveilleux opuscule intitulé Comment lire des livres qu’on ne comprend pas. L’auteur parle d’expérience. Il fut longtemps coureur cycliste et s’est confronté, à 35 ans, à son premier livre de philosophie.
L’avantage du sportif, en l’occurrence, n’est pas simplement l’endurance, la ténacité, la patience à l’entraînement. Il réside plutôt dans cette intuition immédiate et féconde : la compréhension d’une œuvre constitue, avant toute chose, une aventure corporelle, une affaire organique, musculaire, respiratoire. Cela surprendra peut-être quelques idéalistes impénitents et spiritualistes fanatiques. Tous les autres ont cent fois éprouvé, sans s’y attarder pour autant, combien une vraie compréhension résulte d’une « fermentation organique de la pensée », comme dit Olivier Haralambon. Posture physique, rythmes horaires, respiration jouent dans la lecture un rôle obscur, décisif et méconnu, à côté d’une multitude de facteurs physiologiques et psychologiques. « La Règle, la Voie, c’est de lire avec son corps. »
D’où une série de conseils que l’auteur a tiré de ses tâtonnements et observations, et qui devraient être utiles à tous pour progresser dans cette « escalade en descente » que constitue la lecture. Parmi ces préceptes : lire lentement, plusieurs fois, ou selon des rythmes multiples, dans des circonstances variées, s’accrocher à la structure logique des phrases, renoncer à tout saisir d’un coup, ne pas craindre d’échouer, attendre que le sommeil fasse son œuvre… Pratiquer l’imprégnation, l’immersion réitérée, plutôt que de vouloir, à toute force, maîtriser d’un coup l’élucidation. Il faut donc savoir « s’installer dans cette spirale dialectique entre l’effort volontaire et l’acceptation sereine d’une part d’impuissance. »
Plus qu’un manuel pratique, ce petit livre développe à sa manière une méditation sur ce que penser implique. Il est surtout très remarquablement écrit et se lit avec un vif plaisir. Comme l’été vient, sachez qu’il tiendra aisément dans une poche, un sac à dos, un cabas de plage. A plus long terme, il devrait faire bien de l’usage. En particulier pour toutes celles et ceux qui s’aventurent dans cette étrange contrée peuplée de livres paraissant inintelligibles au premier regard, et devenant lumineux ensuite.
COMMENT LIRE DES LIVRES QU’ON NE COMPREND PAS
d’Olivier Haralambon
Carnets parallèles, 90 p., 8 €