Subtil et respectueux pour changer le monde
On va où ? Personne ne sait, mais on y va… Vite, sans chercher à comprendre. Sans penser à autre chose, sans vraiment visualiser aucun autre monde. Nez dans le guidon, en compétition permanente. Certains décrochent, se réfugient en retrait. Quelques-uns pensent encore tout bouleverser d’un coup, faire la révolution, passer d’un univers à un autre sans transition. Pourtant, pour beaucoup de nos contemporains, l’idée même de transition se charge désormais de sens multiples. « Transition » – notamment énergétique ou démocratique – désigne un changement pensé, accompagné, désiré, qu’il s’agit de tenter de réaliser concrètement, par son action personnelle comme par celle de tous. Mais avec quels outils intellectuels ? Quelles règles de conduite ? Quels objectifs ?
« Futurophilie »
Le philosophe Pascal Chabot est parti à la recherche de ce que suppose « l’âge des transitions ». Auteur de plusieurs ouvrages, dont Global burn-out (PUF, 2013) et La Philosophie de Simondon (Vrin, 2003), coréalisateur du film Simondon du désert, en 2012, il propose une réflexion souvent stimulante sur les conditions d’un changement à la fois intelligent et efficace. Ni résignation à la stabilité ni déni d’avenir, la transition est animée par une « futurophilie » : elle aspire à faire advenir réellement un avenir meilleur. Sa méthode, pour réussir, doit reposer, selon Pascal Chabot, sur trois piliers.
Le premier est pratique : s’occuper d’abord des moyens, avant toute autre chose. Car ce sont eux, contrairement à ce qu’on croit, qui créent les fins. Il faut donc oser « ouvrir les boîtes noires », explorer les machines, discerner quelle énergie fait marcher le monde. Le deuxième pilier est plus inattendu : discerner les « liens subtils » qui relient des éléments au premier regard disjoints ou disparates, comme énergies techniques et énergies humaines. Il convient pour y parvenir de restaurer une exigence de finesse, de ne plus considérer le réel d’un seul point de vue – utilitaire, faussement évident. Le dernier point d’appui de cette méthode insiste sur les relations concrètes entre individus : toujours privilégier respect et reconnaissance, fondements du lien humain, ne jamais les ensevelir sous les nécessités prétendues du rendement et de l’efficacité.
Un profond changement
Dit comme ça, c’est généreux et général, voire un peu flou. Mais Pascal Chabot applique ensuite cette méthode, de façon intéressante et originale, notamment à la transition énergétique. Il montre ainsi comment la question cruciale de l’énergie reste encore largement invisible, inaperçue, impensée. Il souligne combien la relation entre énergie humaine et non humaine reste à élaborer. Il explique que le passage d’une attitude de consommation prédatrice de réserves finies à une attitude de respect de l’énergie renouvelable constitue un profond changement philosophique. Ses analyses des transitions politiques en cours sont moins convaincantes, mais l’ensemble vaut le détour. Ce philosophe plaide en effet, avec brio, pour un contrôle intelligent de nos voyages volontaires vers un monde nouveau.
Reste à savoir si ce n’est pas illusoire, au moins en partie. Car toute transition suppose qu’en passant d’un monde à un autre on finisse par arriver quelque part, même si cela prend du temps. Or il se pourrait que nous soyons entrés dans une spirale de mutations indéfiniment renouvelées. La transition permanente ?
L’Age des transitions, de Pascal Chabot, PUF, 192 p., 16 €.