Quatre conditions pour vaincre le terrorisme
Après Paris, Bruxelles – avant, certainement, d’autres massacres aveugles, déjà projetés, presque prêts. L’Europe commence à entendre, dans le sang et les larmes, ce qu’ont répété depuis une quinzaine d’années des observateurs lucides : une guerre d’un type nouveau – et qui sera longue, sale et dure – a commencé le 11 septembre 2001. Ce conflit mondial inédit est à la fois militaire et civil, se poursuit dans la lumière comme dans l’ombre, mobilise des images autant que des faits, utilise des bombes et des sentiments. Cette guerre sans nom déconcerte, inquiète, égare souvent les jugements. Pourtant, il reste parfaitement possible que nous y remportions la victoire et que le terrorisme soit finalement vaincu. A quatre conditions, qu’il est nécessaire de rappeler.
Première condition : la volonté de vaincre. Ce devrait être évident, ce ne l’est absolument pas. Car ce qui domine, en Europe, est encore une attitude passive, fataliste, résignée. Elle porte à pleurer les morts, pas à vouloir les venger. Elle s’angoisse de la menace terroriste, elle ne manifeste pas nettement le désir fort de s’organiser pour anéantir les assassins. Or il ne suffit pas de comprendre qu’il s’agit bien d’une guerre, et qu’elle est durable – ce qui est d’ailleurs loin d’être unanimement admis, malgré une évolution notable. Il s’agit de devenir résolus à gagner, et donc prêts à nous en donner les moyens. Pas de victoire, à moyen ou à long terme, sans une mutation psychologique qui doit faire passer de la compassion pour les victimes à la rage de vaincre les meurtriers.
Ne pas se tromper d’ennemi est une autre exigence fondamentale. L’adversaire principal est aujourd’hui Daech, Aqmi, tout le djihadisme armé contrôlant, sous divers noms, des territoires et des ressources. Ces bases arrière doivent être détruites, car là se trouvent camps d’entraînement, centres d’organisation, filières de financement. Une victoire sur ce terrain implique, comme chacun sait, une coalition militaire cohérente et des accords clairs, capables de coordonner frappes aériennes, troupes au sol et perspectives politiques pour la suite. Que cela soit effectivement compliqué ne signifie pas que ce soit impossible. Mettre hors d’état de nuire quelques dizaines de milliers de combattants est largement à la portée des armées des pays visés par les djihadistes. Si ce n’était pas prochainement le cas, si ces bases arrière devaient perdurer et croître, aucune victoire sur le terrorisme ne serait plus possible. Sa défaite militaire en Syrie, en Irak, en Libye ou au Sahel ne l’arrêtera pas, mais la lutte changera de nature, demeurant du domaine des services de renseignements et de sécurité.
Mener sans faille cette guerre de l’ombre est la troisième condition pour vaincre un jour les djihadistes. Elle suppose des moyens en hommes, en financement, en matériel. Elle implique aussi la détermination politique d’avoir parfois les mains vraiment sales. Les Etats-Unis l’ont endossé après le 11 septembre 2001, et les opérations de la CIA n’ont pas été propres. L’Europe a d’autres moeurs, d’autres valeurs, d’autres scrupules. Mais elle n’a plus le choix de rester sans agir ni sans coordonner ses opérations spéciales. Il lui faut donc inventer, d’urgence, comment être efficace tout en restant fidèle à ses principes.
La dernière, mais pas la moindre, condition d’une victoire est la réorganisation de notre espace mental, collectif aussi bien que personnel. Dans cette guerre faite aussi de représentations, de sentiments et d’images, il faut garder comme ligne directrice de ne pas surestimer ni sous-estimer les dangers. Les médias ont à réfléchir à leur responsabilité : au lieu de traiter du terrorisme sur le mode du fait divers et du feuilleton, ils devraient privilégier les analyses de fond. Au lieu d’héroïser un Abdeslam et autres seconds couteaux, ils devraient s’efforcer d’entrevoir le paysage d’ensemble. Et chacun de nous doit aussi apprendre à vivre dans un monde où, longtemps, la terreur va faire partie du quotidien, sans céder pour autant à l’angoisse ni à l’abattement. Ni à l’insouciance irresponsable.
Il nous faut donc, bien vite, redevenir désireux de vaincre, confiants dans nos capacités, et même endurants, lucides, autonomes, patients, courageux… C’est à se demander s’il ne faudrait pas être presque reconnaissants aux tueurs de nous rendre ces exigences.