Du bon usage de la virilité
Ne haussez pas les épaules… Pas tout de suite, attendez un peu. Bien sûr, aujourd’hui, le terme « virilité » semble vite importun. A peine est-il prononcé, beaucoup cessent d’écouter. En pensant notamment qu’on ne va quand même pas régresser, chanter comme autrefois la gloire de la testostérone, encenser les gros muscles, considérer comme vertus l’agression, la brutalité et la violence. Nous tentons de vivre dans une société « neutre par rapport au genre », soucieuse de s’extirper des préjugés anciens et des dominations séculaires. Nous voyons donc la virilité comme un stéréotype risible et nuisible, une fantasmagorie culturelle moribonde. Et si nous avions tort ?
C’est ce que suggère l’essai, profondément original et provocant, de Harvey C. Mansfield, intitulé simplement Virilité. C’est le premier ouvrage traduit en français de ce philosophe, méconnu ici mais renommé aux Etats-Unis. Professeur à Harvard depuis 1962, enseignant également à Stanford, ce spécialiste de philosophie politique, 86 ans, couvert d’honneurs, a publié notamment sur Machiavel, Tocqueville et la Constitution américaine. Conservateur, dans la mouvance de Leo Strauss et d’Allan Bloom, il pourfend systématiquement le politiquement correct – avec autant d’érudition que d’humour.
Force émancipatrice
C’est pourquoi il faut lire son plaidoyer, qui déclare d’entrée de jeu : « La virilité recherche le drame, elle l’accueille à bras ouverts ; elle est à son aise en temps de guerre, elle se délecte des crises ; le risque est son élément. » Ce n’est pas une affaire d’hormone, ni même de sexe (il existe une « virilité » des femmes), mais plutôt de valeurs. L’essentiel, pour Mansfield, c’est l’affirmation de soi – contre l’adversité, le destin ou la routine – que les héros virils opposent à toutes les formes de sécurité et de vie paisible. En cela, ils incarnent le courage. Mais diversement.
Sur la face sombre, l’affrontement physique peut déboucher sur une domination bête et brute. Mais sur la face noble, celle de l’affirmation du vrai, de la force de penser contre les préjugés, d’où qu’ils viennent, c’est une force émancipatrice et créatrice. Il y a donc, en ce sens, selon Mansfield, une virilité des philosophes, qu’ils incarnent en menant des combats logiques. Elle est liée, depuis Platon et Aristote, au thumos – qui signifie énergie et courage. Dès lors, le drame de notre présent n’est pas la fin de la domination masculine, ce qui est positif, mais de ne plus savoir quoi faire, à présent, de la virilité, qui se retrouve « inemployée ».
Belle brochette
Elle contient du bon et du mauvais, Mansfield en est convaincu. Mais il refuse de jeter le bébé de l’héroïsme avec l’eau du machisme. Et pour mieux illustrer l’existence et la richesse de la notion de virilité dans l’histoire, il fait feu de tout bois, convoque brillamment Homère et Hemingway, William James et Tarzan, sans oublier une belle brochette de philosophes – de Platon à Nietzsche en passant par Machiavel.
Inévitablement, les thèses de Mansfield feront grincer quelques dents. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. Mais on aurait tort de négliger les arguments, matériaux et références rassemblés dans ce livre. Son écriture, par surcroît, est alerte, malicieuse, limpide. Même si vous n’êtes pas de son avis, vous comprendrez vite pourquoi il vaut mieux ne pas hausser les épaules.