Aux origines de la pandamania
Les pandas font l’objet d’un culte planétaire. En France, au zoo de Beauval, les visiteurs font la queue pour entrevoir sa majesté Yuan Meng. Sa naissance, le 4 août dernier, a été suivie par 26 millions de personnes sur les réseaux sociaux. Baptisé en grande pompe par Brigitte Macron, en présence des représentants de la Chine, ce jeune dieu somnole à peu près continûment, indifférent à la ferveur qu’il suscite. Ses congénères les plus célèbres, Hsing-Hsing et Ling-Ling, offerts à Nixon par Mao-Zedong en 1972, ont mâchonné des bambous, à Washington, devant plus de 60 millions de visiteurs.
Au fil des ans, l’image du panda s’est imposée partout. Elle s’est installée dans le logo du WWF, organisation majeure de protection de la nature. Au Japon, aux Etats-Unis, en Europe, la pataude silhouette s’est infiltrée dans des séries de jeux vidéo (Tekken), des mangas, des films d’animation, des dessins animés… Chantal Goya a célébré Pandi Panda (« Je t’ai préparé une bonne soupe de bambou »), Fiat a nommé Panda un petit véhicule urbain et, sur un autre registre, le biologiste Stephen Jay Gould a érigé Le pouce du Panda en symbole de l’évolution des espèces. Liste non exhaustive…
Pourquoi pareille omniprésence ? Au premier regard, la sympathie qu’engendrent ces drôles de jouets blancs et noirs a l’air facile à comprendre. Peluches vivantes, ils attendrissent. Animaux inoffensifs, ils rassurent. Représentants d’une espèce vulnérable et menacée, ils mobilisent. Devenus instruments de la puissante diplomatie chinoise, ils sont respectés. On s’imagine donc avoir compris. Malgré tout, ces éléments sont loin de faire pleinement la lumière sur la fascination qui s’est emparée du monde entier. Mieux vaudrait considérer l’universelle pandamania comme un symptôme. A sa manière, ce culte étrange dit quelque chose. Mais quoi ?
Il exprime d’abord la mutation profonde de notre imaginaire de la nature et de la vie animale. Pour le constater, il suffit de songer à ce que furent, jadis, de grandes figures animales qui hantaient nos rêves collectifs : le loup, le lion, l’ours, par exemple. Ces espèces emblématiques étaient carnivores – le panda, lui, est végétarien. Ces animaux puissants constituaient des menaces, les humains devaient s’en protéger – l’impuissant panda, lui, est en danger, et notre devoir est de le préserver des risques que nous faisons peser sur sa survie. Les prédateurs d’autrefois étaient effrayants, la peluche d’aujourd’hui est émouvante. Au lieu d’avoir peur du loup, les enfants câlinent du panda. On est ainsi passé du terrible, au mignon, de la crainte à la préservation. Ce n’est plus la même nature, ni le même humain. Le culte du panda, vu comme symptôme, révèle donc que nos conceptions ont muté.
Mais il dit sans doute bien plus. Derrière la métamorphose évidente de notre regard sur la vie naturelle, se profile aussi une image moins visible de l’existence humaine. Et pourtant, en choisissant de tant glorifier le panda, on privilégie, subrepticement, un certain type de vie. Or ce modèle singulier, qui se donne pour bien sympathique, mais ne l’est peut-être pas du tout. En effet, si on regarde froidement, le panda, si mignon, s’avère être un individu plutôt nul, voire sinistre. Le journaliste américain David Plotz, après avoir fréquenté des années le fameux couple du zoo de Washington écrivait, en 1999, qu’ils sont « chiants comme la pluie » parce qu’indifférents à tout. Le gros ourson passe pour n’avoir pas un mauvais fond, mais il n’a tout simplement « pas de fond du tout ». Ce constat à contre courant ne dit pas encore quel moteur caché entretient l’enthousiasme dont les peluches vegie font l’objet.
Certaines informations complémentaires permettent de l’entrevoir. Rondouillard, le panda passe 14 heures par jour à mâcher du bambou. Il se déplace peu, demeure inactif la plupart du temps et se singularise une activité sexuelle extraordinairement réduite (2 ou 3 jours par an, aléatoirement). Rassemblez ces traits. Et demandez-vous si le panda ne serait pas… l’avenir de l’homme. Car c’est bien une image de nous, en filigrane, que renvoie notre admiration obstinée envers l’ursidé noir et blanc. Diagnostic : surpoids, masticage incessant, carnivore devenu végétarien par mutation génétique, indifférence générale, somnolence fréquente, inaction permanente, anaphrodisie récurrente. Aucune activité, sportive, intellectuelle, sexuelle. Pas de désir, ni de relation aux autres. Serait-ce vraiment notre idéal contemporain ? Ce n’est qu’une hypothèse. Mieux vaut arrêter. Je crains d’être poursuivi pour pandaphobie.