13,7 MILLIARDS D’ANNÉES… OU BIEN RIEN ?
L’univers, dit-on aujourd’hui, est vieux d’environ 13 milliards d’années. Exactement 13, 7 milliards, va-t-on ajouter, pour se montrer précis. Or cette précision est illusoire. Pire, ou mieux : la connaissance ainsi affichée a tout d’un trompe-l’œil, ou même d’un piège. Elle porte en effet à croire, fort naïvement, que l’âge du monde possède une signification toute simple. Nous nous imaginons qu’il y eut un point de départ, une émergence, une apparition, puis une succession d’instants, mesurable, uniforme et constante. Bref, « un jour » commença le cosmos, et, depuis, le temps aurait passé… jusqu’à aujourd’hui.
Tout cela est faux. Pas un seul de ces termes ne tient. Parce qu’il n’y eut jamais d’horloge, déclenchée au « temps zéro » et qui serait encore en état de marche. Parce que l’existence même du temps est dépendante de l’observateur et de sa place, comme Einstein et la théorie de la relativité l’ont établi. Parce que cet âge supposé de 13,7 milliards d’années résulte d’une série d’hypothèses, et des calculs qu’elles permettent, mais en aucun cas d’une observation ni d’une certitude quelconques. Voilà ce qu’explique l’astrophysicien Marc Lachièze-Rey dans un essai sur L’Âge de l’univers. Son principal mérite : démonter nos mirages candides, les remplacer par des perplexités savantes.
Spécialiste de la cosmologie, de son histoire, de ses relations aux concepts philosophiques, ce directeur de recherche émérite au CNRS a plusieurs ouvrages de vulgarisation à son actif. Il rappelle d’abord, dans ce nouvel opus, combien la question même de l’âge de l’univers est récente. Les Anciens se souciaient des mouvements des astres, mais jamais de leur date de naissance. Pareille interrogation était totalement exclue, puisque le cosmos, chez les Grecs, était le plus souvent considéré comme éternel et incréé. Il faut attendre 1650, et l’archevêque anglican James Ussher pour que l’état-civil enregistre la date de naissance du cosmos : selon l’honorable prélat, qui a scruté la Bible et ses générations successives, c’est en 4004 avant Jésus-Christ, le 23 octobre, à 9 h du soir, que le monde apparut.
La saga scientifique moderne commence à peine plus tard, avec les Principia de Newton, en 1687, puis les calculs des paléontologues du XIXe siècle, et surtout le changement de paradigme de la relativité, qui a conduit aux théories du « Big Bang ». Marc Lachièze-Rey retrace, en termes simples, le cheminement de ces révolutions mentales, en insistant notamment sur le rôle du chanoine-astronome Georges Lemaître (1894-1966), l’un des artisans décisifs du scénario de l’expansion de l’univers et de sa datation.
L’utilité de ce rappel n’est pas seulement historique, mais aussi philosophique. Car il permet de comprendre ce point qui n’a rien d’évident : l’âge de l’univers ne correspond à aucune durée physique, et se réfère uniquement au « temps cosmique », lequel ne se mesure pas et se calcule seulement en fonction de modèles théoriques. Il ne correspond donc à rien de factuel, au sens habituel du mot. Ce temps et cet « âge » ne supposent même pas que l’univers ait commencé.
Somme toute, ces milliards d’années sont presque du vent. Encore faut-il comprendre d’où il vient, comment il souffle. Cela implique bien des remises en causes conceptuelles, où se confrontent et se combinent l’instantané et l’éternel, la durée et le hors-temps, et tous les paradoxes dont le temps se nourrit. Il y a belle lurette que la physique est devenue, en grande partie, un jeu d’idées.
L’ÂGE DE L’UNIVERS
de Marc Lachièze-Rey
HumenSciences, « Comment a-t-on su », 264 p., 17 €