Contre Daech, le combat continue
Il convient de se réjouir. De se réjouir vraiment, bien plus que ne l’ont fait, ces derniers jours, les médias, évoquant le plus souvent de façon froide et neutre la défaite de Daech. Car c’est une étape très importante. La chute de Baghouz, la libération du dernier carré de territoire encore tenu par ce prétendu « Etat islamique » autoproclamé signent en effet la fin du pire scénario : une base arrière organisée, attractive pour les djihadistes du monde entier, disposant de revenus importants. En perdant son territoire, son administration, sa visibilité, ses chars, ses camps d’entraînement et ses prisons, Daech perd aussi de sa superbe et voit son rêve de califat mondial s’évanouir pour longtemps.
Certes, cette victoire militaire des forces démocratiques syriennes, soutenues par la coalition internationale, a été longue, difficile, coûteuse en vies humaines et en budgets. Mais elle était indispensable. Sans elle, il fallait s’attendre non seulement à la perpétuation des tortures des Yézidis, à l’écrasement d’une vaste population sous l’application littérale et terrifiante de la charia, mais il fallait craindre aussi l’extension des conquêtes du pseudo-califat. Cette victoire sur les djihadistes casse l’engrenage. C’est pourquoi il faut la célébrer, et rendre hommage à tous ceux qui l’ont rendue possible. Sans oublier ceux l’ont soutenue, appelée activement de leurs vœux, contre les défaitismes, les stratégies de louvoiement et les complicités de toutes sortes.
Sans doute l’intelligence de la guerre nous est-elle devenue tellement lointaine, voire tellement étrangère, qu’un écrasement militaire de la barbarie n’est plus un motif de réjouissance. Et pourtant, cette victoire confirme que l’action militaire internationale est possible, efficace, utile. Sans doute a-t-elle mis bien du temps à se mettre en route, à progresser, à l’emporter. Mais elle y est parvenue. Les sentiments d’impuissance et d’accablement deviennent donc sans objet. Ils ne constituent finalement que le reflet inversé, en miroir, des délires de toute puissance et d’impunité des djihadistes qui se croient assurés de l’emporter. Or il n’est pas vrai qu’ils peuvent tout, ni que nous ne pouvons rien. Telle est la première leçon, somme toute réconfortante, de cette victoire. Ce n’est évidemment pas la seule.
Car il y reste autant de motifs de s’inquiéter que de réjouir. Que cette victoire militaire ne mette pas fin au terrorisme est une évidence. Daech militairement vaincu n’a pas disparu. Des milliers de djihadistes rêvent de prendre leur revanche, de reconstituer un jour un début de califat. Surtout, il va s’agir pour eux de montrer, de la manière la plus spectaculaire possible, que Daech vit toujours et constitue un danger. Ce qui caractérise l’acte 2 qui s’ouvre avec cette défaite décisive, c’est donc le retour prévisible d’une longue série d’attentats. Ils adviennent déjà en Syrie et en Irak et vont s’y intensifier, profitant des instabilités politiques.
Ailleurs, la suite est aisément prévisible : partout, des actions terroristes devraient reprendre. Le temps que les combattants circulent et se réorganisent, que des cellules dormantes soient activées et des stratégies mises en place, et l’on verra de nouvelles scènes de carnage. Personne ne peut dire, à ce jour, si elles prendront la forme de multiples petites agressions low cost, disséminées, ou d’opérations de plus grande envergure, montées par des réseaux structurés. Mais il faut s’y attendre.
La question à poser devient : comment, dans ce contexte renouvelé, continuer à vaincre ? La réponse appartient au premier chef aux services anti-terroristes et à toutes les instances travaillant à la sécurité des citoyens. Ils ont déjà maintes fois fait preuve de leur efficacité et l’on présume qu’ils travaillent, depuis pas mal de temps déjà, à contrer cette prochaine vague de terreur. Mais chacun a pu également constater, au fil des ans, que tout ne peut être contrôlé, encore moins évité. Ce que l’acte 2 de la tragédie Daech doit nous remettre en tête de nouveau, c’est que cette guerre non-classique ne se déroule pas seulement sur un territoire, un champ de bataille, un front unique. Les combats ne se livrent pas seulement au loin, en terre étrangère. Ils se poursuivent ici, le plus souvent dans l’ombre. L’idée d’en avoir déjà fini avec cette tragédie est pure illusion. Mais la conviction qu’elle aura une fin peut se partager.