Néonazis des rues et des urnes
A Charlottesville (Virginie), le 12 août dernier, saluts nazis, drapeaux à croix gammée, T-Shirt à l’emblème des SS ont occupé massivement la rue. Si ce « rally » a tant fait parler, c’est bien sûr en raison des violences qu’il a provoquées, mais aussi du sentiment, partagé par beaucoup, qu’une étape était franchie. Nostalgiques du Troisième Reich, antisémites virulents et racistes acharnés ne sont plus de petits groupes folkloriques et négligeables. Ils s’exhibent, recrutent, donnent ouvertement de la voix.
En Allemagne, depuis quelques jours, ils recueillent assez de voix (13 %) pour être assurés de 93 députés au Bundestag. On dira qu’Alternative für Deutschland ne se réclame pas ouvertement de l’héritage hitlérien, n’arbore pas les symboles historiques du régime nazi, et on aura raison, factuellement, de le souligner. Mais ce n’est sans doute qu’un argument-mirage, fait pour se rassurer. Chacun constate, en effet, que ce jeune parti à succès est en voie de radicalisation. Et les propos xénophobes et racistes nourrissent ses succès électoraux. Il suffit de savoir, pour deviner la suite, comment Alexander Gauland, son leader, réclamait pour les Allemands, le 2 septembre, « le droit d’être fiers des performances » (sic) de leurs soldats pendant la Seconde Guerre mondiale… Ach so ! Performances… De la Shoah par balles à Oradour, de la Gestapo aux camps d’extermination, qu’en termes choisis ces massacres sont dits.
A Paris, le 23 septembre, il est encore question des nazis, ceux d’autrefois, mais d’une manière étrange et nouvelle. Jean-Luc Melenchon, faisant l’éloge de « la rue », de son rôle dans l’histoire – qu’il suppose principalement positif – soutient, sans vergogne, que « la rue a abattu les nazis ». La formule suscite aussitôt un déluge de critiques. Puisque tout le monde sait – sauf ceux qui feignent de l’oublier – que seules les armées, américaines et soviétiques principalement, ont eu raison de la Wehrmacht. Sans le débarquement de Normandie, sans la bataille de Stalingrad, l’Europe serait encore sous la botte nazie. Maquis et réseaux de résistance ont constitué une force d’appoint – incapable, à elle seule, d’abattre la domination hitlérienne. Jamais la rue n’a joué dans la chute du nazisme aucun rôle notable. La foule n’arriva qu’après la bataille, à la Libération…
Ces actualités récentes sont à rapprocher. Que tirer de leur confrontation ? D’abord que la rue comme les urnes peuvent conduire au pire. Il est vain et dangereux de croire qu’agitation, manifestations et défilés sont forcément « progressistes ». La rue appartient également aux racistes et aux réactionnaires. Dans l’histoire contemporaine, de Mussolini à Hitler, les exemples abondent. Inversement, il est illusoire et naïf d’imaginer que des élections démocratiques garantissent contre l’arrivée au pouvoir d’une peste brune. Hitler sut recueillir, en 1932, 30,2% des voix au premier tour, et 36,7 au second. Il arriva très légalement à la tête du Reich en 1933, avant de provoquer un coup d’Etat.
Cessons donc d’imaginer qu’il existe une « bonne rue » ou une « bonne urne » qui constitue contre les néonazis un souverain remède. Le pire peut toujours venir de l’une comme de l’autre. Nous devrions abandonner également cette vieille illusion nous persuadant que les peuples ont toujours raison, et sont nécessairement justes et fraternels. Au contraire, il arrive qu’ils deviennent meurtriers, désirent la violence, s’enivrent de haine. L’histoire ancienne l’enseigne, celle du XXe siècle ne permet plus de l’ignorer. Avec la Shoah, l’inhumanité a été portée à son comble. Ce qui paraissait « impossible » a effectivement eu lieu.
La vérité difficile, à conserver constamment à l’esprit, est celle-ci : si l’impossible s’est produit une fois, il peut se reproduire cent fois, mille fois. Sous des déguisements différents, parfois inattendus, mais toujours selon les mêmes axes. En se racontant que « l’histoire ne se répète pas », on se rassure peut-être, mais on se leurre plus sûrement.
Les moyens de lutte ? Sur le plan économique et social : contrer l’effondrement des classes moyennes, le déclassement des défavorisés, la constitution d’un peuple des aigris et des laissés pour compte. Sur le registre philosophique : combattre résolument l’idée qu’une vérité absolue – quelle qu’elle soit – puisse guider la politique. Croire en un dogme capable d’assurer le bien du peuple, le bonheur de l’humanité, l’ordre juste, tous les totalitarismes – raciaux ou communistes – viennent de là.