Savoir changer de galaxie
On ne l’a pas assez dit : la disparition des Martiens est un grand malheur. Car ces gens-là étaient quand même une solution. Pour rêver d’exotisme radical, de dépaysement grandiose, de « tout autre » garanti, il suffisait de songer à leur existence. Intelligences dissemblables, apparences incertaines, pouvoirs mystérieux, ils fournissaient un aliment toujours disponible au délicieux vertige de la pluralité des mondes.
A présent, plus personne ne leur prête attention. D’ailleurs, tous les extraterrestres sont en crise. La preuve : on a beau les traquer à coups de radiotélescope géant, pas un mot, pas un signe. Total silence radio. Ce mutisme permanent constitue, pour certains, une preuve indubitable de leur existence, car des êtres supérieurement intelligents ne veulent évidemment pas entrer en relation avec nous !
Il n’en reste pas moins qu’ainsi dépeuplé, l’horizon devient morne. Un univers sans surprise vaut-il la peine d’être exploré ? Il se révèle vite désolé et désolant. Rassurez-vous, il y a moyen de s’en sortir ! Laissez tomber galaxies inaccessibles et planètes lointaines. Pour changer totalement d’univers, il y a bien mieux, bien plus fort. Et tellement plus facile.
Allez seulement au coin de la rue. Chez un paralysé, si vous êtes valide. Chez un SDF, si vous avez un toit. Chez un grand malade, si vous êtes bien portant. Chez quelqu’un de riche, à tel point que vous ne saviez même pas que c’était possible, si vous êtes très normalement non riche. Chez quelqu’un qui, faute de moyens, rationne ses repas, se chauffe mal, ne se soigne plus, reprise ses vêtements, si vous êtes pourvu. Certes, il se peut que tous ne se trouvent pas au coin de la rue. En ce cas, allez au coin suivant. La plupart du temps, ce sera suffisant.
En fait, ce n’est que ça, la pluralité des mondes. Juxtaposés, côte à côte mais s’ignorant, des gens qui agonisent et d’autres qui naissent, des malades et des bien portants, des affamés et des repus. Y ajouter amoureux et laissés-pour-compte, aigris et miséricordieux, et tout ce que vous voudrez. Selon l’âge, l’état du corps, le montant de la fortune, selon encore le climat, le quartier, l’époque, dans ces univers parallèles, pratiquement tout diffère – depuis les odeurs jusqu’aux croyances, sans compter les vêtements et les gestes, les mots et les désirs. Et même ce que les yeux, sans parler, laissent entrevoir.
Aux explorations intergalactiques, préférez donc ces périples intersidérants. Vous y découvrirez combien changer de galaxie est aussi simple – et difficile – que de changer d’étage. Mais plus déconcertant, cela va de soi. Si vous les observez bien, vos voisins seront toujours plus déroutants que les Martiens d’autrefois. Reste que, pour les rejoindre, la construction du vaisseau spatial est parfois aussi compliquée.