Parler, comme c’est étrange !
Ça paraît tout naturel. On a quelque chose à dire, alors on parle. Tout simplement. Même sans rien avoir à dire, d’ailleurs… Ce n’est pas plus compliqué, ni plus rare. Et les autres nous parlent, et nous répondons, et ça fait conversation. Ou séduction, ou menace, chantage, enseignement, renseignement, formation, information, réclamation, pression, impression… Peu importe. Ça parle, et c’est habituel.
Pourtant, comme c’est étrange ! Etre immergé dans des sons, les entendre, mais pour écouter seulement le sens, les idées, les faits racontés, les questions posées. Manier des conjugaisons, des règles d’accord, sans même s’en rendre compte – sauf quand ça dérape et se détraque. Penser, par ces sons, ces mots, ces phrases à des gens qui ne sont pas là, des objets absents, des pays où l’on n’est jamais allé, des époques qu’on n’a pas vécues. Banal, mais vertigineux.
Voilà qui est humain, plus que tout. Nous sommes tous tombés dans la parole quand nous étions petits. Les mots maternels ont tissé en nous, entre nous et les choses, un corps verbal presque impossible à détruire. Nous ne savons pas, nous ne saurons jamais comment c’est « dehors », à l’extérieur de la bulle de mots.
La vie sans paroles, aucun humain ne la connaît vraiment. Les sourds, les muets, les handicapés, les accidentés sont eux aussi pris dans cette bulle, ce halo, ce réseau. Etre humain, c’est parler, même sans les sons, évidemment.
Des animaux parlant-pensant, des animaux à mots, voilà ce que nous sommes. Les animaux tout court, eux, sont sans mots. Ils peuvent en reconnaître quelques-uns, mais ne les parlent pas – pas uniquement faute de cordes vocales ou d’appareil phonatoire, mais faute de… quoi au juste ?
La réponse se fait attendre. Viendra-t-elle jamais ? Il y a des siècles que les humains scrutent le pourquoi de la parole et les comment du langage. Des bibliothèques entières y sont consacrées, où figurent des œuvres de Platon, Aristote, Descartes, Rousseau, Saussure, Jakobson, Benveniste, Chomsky, et tant d’autres. Ils ne savent, malgré leur science, dire pourquoi nous parlons. Serait-ce parce que…