Le tour de l’existence en trois expériences
Trois minutes suffisant pour lire cette chronique, même en mode slow, c’est bien assez pour faire le tour de l’existence. Trois expériences express, une par minute, vont vous le permettre. Top départ.
Commencez par imaginer de quoi serait faite la liste de tout ce que, dans votre vie, vous n’avez pas choisi. Par exemple : votre nom, vos parents, votre milieu d’origine, votre langue maternelle… Vous n’avez pas décidé non plus de votre sexe, pas plus que de vos gènes, de la tête que vous avez, des grains de beauté que vous n’avez pas. Pire : vous n’avez, c’est un fait, jamais accepté ou refusé de naître, jamais consenti à venir au monde, pas plus que vous n’avez empêché votre parachutage. Tout cela s’est fait sans vous. A moins d’imaginer, comme Platon dans le mythe d’Er, à la fin de « La République », la situation où chacun aurait en fait décidé de sa vie, avant que ne s’efface tout souvenir de ce choix. Mais nous ne croyons plus à ces fables. Jetés dans l’existence sans avoir rien décidé, nous sommes donc les jouets du hasard. Un remède ?
Pour tenter de le trouver, nouvelle expérience. Cette fois, la liberté de choix la plus complète doit être préservée. Il va donc falloir laisser grandir les enfants sans leur apprendre aucune langue, sans leur donner de nom, sans leur imposer la moindre règle. Un jour, ils choisiront eux-mêmes – librement, en toute conscience – un idiome qui leur convient, un prénom dans lequel ils se reconnaissent, des coutumes qui leur vont bien. Généreuse intention, mais voilà, vous butez sur cette difficulté insoluble : la question « quelle langue veux-tu parler ? » ne s’adresse qu’à un humain… qui sait parler ! Personne ne peut réellement choisir son nom, ni même ses idées. Alors vous devrez en tirer toutes les conséquences, reconnaître qu’il n’existe aucun moyen de devenir véritablement maîtres de nos vies. Faut-il en conclure que nous devons toujours subir, courber la tête et nous taire ?
Pas du tout ! Au contraire ! Une troisième expérience peut tout changer. Qui donc est persuadé, sincèrement, d’avoir un jour décidé que l’univers devait exister ? Personne, mis à part quelques cas graves. Le monde est là, et ni vous ni moi n’y sommes pour rien. Mais cela doit-il vous interdire de choisir le sens que vous allez donner à la réalité ? En fait, il en va toujours ainsi, et partout : vous n’avez pas décidé de naître, mais c’est à vous d’organiser votre vie et d’en inventer le sens. Sans avoir créé le langage, vous y inventez des phrases toujours neuves. Sans être les inventeurs du temps, vous l’employez de mille façons différentes, etc.
Comme vous le constatez, trois minutes et autant de perspectives ont permis de faire un tour de la question. Pour la résoudre, c’est une autre affaire. Il y a trois mille ans qu’on y pense. A vous la suite.